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Bougres de vie (par ParisDude)

Synopsis

Huit homosexuels de la seconde moitié du XIXe siècle se racontent ici, invités par des médecins à prendre la plume pour se dire. Ils ne se confessent plus à des prêtres, mais à des savants curieux de comportements alors jugés pathologiques. La volonté de savoir se double du désir de bien distinguer le normal et l’anormal en matière de sexe. Ces confessions sont apparemment libres et spontanées. On se doute bien qu’elles sont écrites sous influence. Bougres de vies permet au lecteur d’aujourd’hui de s’intéresser pourtant bien plus à la singularité de chacune qu’à l’appareil scientifique qui les encadre – et qui nous les a transmises – et d’y découvrir un piquant romanesque plus ou moins voulu par leurs auteurs et leur détresse de se sentir autres que les autres. La Comtesse, l’homme aux quatre amours, l’amateur de nudités masculines, le fétichiste des blouses ou celui des bottes vernies, l’admirateur à en mourir du Dédé d’Essebac, le parricide hermaphrodite mental, l’inverti-né qui offre sa vie à Zola comme matériau romanesque, autant de vies racontées et réunies ici pour la première fois, qui ouvrent la voie à une écriture du moi homosexuel.

Mon avis

Je ne lis pas que de la fiction. Non, il m’arrive, de temps en temps, de fourrer mon nez dans un recueil de poésie, et plus souvent encore, je lis des livres d’histoire, ou devrais plutôt dire, d’Histoire ? Vous savez, celle avec le grand H, celle qui retrace notre passé, lointain ou proche ; celle qui nous en dit plus sur qui nous sommes, d’où nous venons, et quelle leçon tirer des vies et des expériences de celles et ceux qui nous ont précédés (si tant est que l’on puisse en tirer des leçons, et si tant est que l’on en soit capable, intellectuellement, émotionnellement, culturellement parlant).

J’étais donc ravi quand mes amis des éditions ErosOnyx m’ont fait parvenir le petit volume que je vous présente aujourd’hui. Bougres de vie (ou, pour reprendre le jeu de mot très à-propos des éditeurs dans leur préface, vies de bougres). Larousse nous dit que bougre signifie : « Autrefois, sodomite » (joli mot aussi, que je n’ai pas rencontré depuis fort longtemps). Apparemment, le mot viendrait de Bulgarus, Bulgare en latin, et désignait d’abord un hérétique. Ensuite, comme nous l’apprend le Littré de 1872-77, il a été étendu à « [c]elui qui se livre à la débauche contre nature : dénomination venue de ce que les haines populaires accusaient les hérétiques de désordres infâmes. » Tiens, voilà, débauches, haines, hérésie – tout un programme.

Enfin. Le présent livre est la traduction d’une collection de textes compilés et commentés par deux universitaires américains, qui se sont penchés sur des comptes rendus français, documents médicaux du XIXe siècle, d’hommes emprisonnés (et accessoirement homosexuels) à qui l’on a demandé de rédiger leur histoire (on note que l’Histoire, celle avec le grand H, se construit toujours de petites histoires). Bien entendu, Peniston et Erber étant des universitaires, ils ne lâchent pas le lecteur comme ça, du genre « lis et débrouille-toi », sans au préalable le préparer. Ils livrent donc un cadre bien expliqué et pas du tout pédant qui m’a permis de mieux comprendre ce que j’allais découvrir. En féru d’histoire(s) (les deux, hein, avec et sans grand H), j’étais déjà familiarisé avec la « technicisation » et la médicalisation des choses, si j’ose dire, dans le discours qui s’est imposé, petit à petit, à partir du XIXe siècle. Mais cette introduction ainsi que les diverses notes qui parsèment cet ouvrage m’ont tout de même donné l’occasion de bien saisir certains aspects et détails.

Donc, oui, les histoires des hommes que l’on lit dans cet ouvrage sont, pour la plupart, assez glauques et ne peuvent surtout pas être prises pour un aperçu représentatif de tous les homosexuels de cette époque-là. Rien de plus normal – après tout, il s’agit d’hommes en prison (ils s’y trouvent pour diverses raisons, par ailleurs), et ils y ont atterri parce qu’ils ont commis des crimes (pour rappel, l’homosexualité n’était alors pas un crime, et sous Vichy, ce ne sont que des relations sexuelles avec mineurs qui ont été pénalisées). Mais n’empêche que la lecture de ces récits s’avère fort instructif, notamment pour nous faire comprendre la force d’un discours dominant à une époque donnée – la plupart des textes se présentent également sous des traits « médicalisés » que les auteurs s’auto-infligent lorsqu’ils passent en revue leur vie.

Ce qui m’a le plus frappé, cependant, était de découvrir des tranches de vie si éloignées de ma propre existence et qui, pourtant, m’ont fait vibrer. Plus d’une fois, je me suis surpris à songer : « Ça aurait pu être toi et ton histoire si tu n’étais pas né un siècle plus tard ! » J’ai aussi été frappé par la manie presque maladive des médecins (les textes sont présentés avec des extraits de leurs propres introductions) de mesurer… des zizis et des coucougnettes. Ça nous fait sourire aujourd’hui, cette croyance qu’un pédé se reconnaîtrait à la taille de son sexe ; mais à l’époque, on prenait ça vachement au sérieux (je rappelle que l’on parle de l’époque ou la phrénologie était très en vogue – on mesurait les crânes en pensant que la forme refléterait le caractère d’un être humain et surtout son risque de basculer dans la sphère criminelle).

Tranches de vie, bougres de vie, vies de bougres… c’était pour moi un voyage dans le passé très intéressant, je dirais même passionnant, surtout parce que certains auteurs, quoiqu’étant d’illustres inconnus, avaient une plume fort bien taillée et par endroits même assez littéraire. Quelle bonne idée d’avoir collecté ces récits. Forcément, même si ceux-ci sont français, c’est deux Américains qui s’y sont collés ; à croire que le sujet n’intéresse pas les chercheurs français. Quelle bonne idée, aussi, d’avoir fait traduire en français et de présenter tout ça dans un si joli livre. Je recommande donc cet ouvrage à toutes celles et tous ceux qui aiment regarder un petit peu plus loin que la dernière romance M/M à la mode. ON peut toujours apprendre des histoires des autres ; on peut toujours apprendre de l’Histoire, aussi.

Infos

Auteurs : William A. Peniston & Nancy Erber (sous la direction de)
Titre : Bougres de vies (Queer Lives) : Huit homosexuels du XIX° siècle se racontent
Publié par : ErosOnyx Éditions
Publié le : 3 septembre 2020
Genre(s) : Histoire, témoignages, biographies
Pages : 216
Disponible en : Broché
Lu par : ParisDude
Sensualité : 0 flammes sur 5

Note

5 étoiles sur 5

Où acheter

Bougres de vie nous a été très gentiment envoyé par l’éditeur pour notre plaisir personnel, mais nous avons décidé de vous livrer quand même notre avis honnête et sincère.

3 commentaires sur “Bougres de vie (par ParisDude)”

  1. Oui moi aussi j’ai le « putain » facile. Je me suis juste quand même réfrénée à une (lointaine) époque, après avoir entendu ma fille, alors âgée de 2 ans et s’énervant après un truc : « rhoo, pudain ». 🙂 Ça calme ! ;-). Plus tard, je suis revenue à Putain, toutefois usé alternativement avec ce « pudain » qui est resté dans la famille et nous fait toujours rire.
    Bugger… OK, faut pas faire de lapsus avec deux ou trois mots somme toute assez proches… 🙂

  2. Et hop, ça y est, commandé à ma libraire. Car moi aussi j’adore les livres d’Histoire, même si ici il conviendra de faire comme tu le dis pas mal la part des choses dans la narration et la façon de rapporter les éléments.
    Et sinon, euh… ben moi qui aime bien les vieux mots et qui ai parfois tendance à dire gentiment « la bougresse » comme je dirais « ahl sacrée Unetelle ! », c’est-à-dire petit reproche emprunt d’amitié… Mince alors !!! 🙂 🙂 🙂

    1. Eh bien, je n’ai pas tout dit sur le mot « bougre », dans mon texte, car ç’aurait été trop long; mais l’acception que tu proposes est la plus répandue depuis fort longtemps (cf. https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/bougre). Très intéressant aussi le parallèle que je tirerais, moi, sans vérifier si j’ai raison, avec le mot anglais « bugger », où on a encore très fortement la signification « sodomite » ou « sodomiser » (c’est aussi un verbe). Les British aiment bien dire « bugger it » au lieu de « fuck it ». Ou simplement « bugger », ce qui correspondrait à notre « putain », sans lequel je serais perdu au quotidien 🙂

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