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Sébastien M. (de ParisDude)

Jimmy, « Sebastien M. »

Synopsis

Du milieu des années 90 au début des années 2000 ; de l’insouciance enfantine aux interrogations identitaires de l’adolescence, Sébastien, jeune lycéen gay de seize ans, grandit dans une société où l’homosexualité est un crime. Les camps de correction destinés à guérir la communauté LGBT fleurissent et les frontières entre justice et morale se troublent. Victime de ces changements et d’un des bourreaux le plus dangereux de son école, Sébastien se tourne progressivement vers la loi du Talion. Lorsque la vengeance devient son unique instrument de réparation, quelles limites Sébastien compte-t-il dépasser dans une société où les représentations sociales l’étouffent ? Cette vindicte deviendra-t-elle pour le jeune homme une planche de salut ? Porté par des personnages à la psychologie finement travaillée, ce premier roman est un véritable plaidoyer contre l’homophobie institutionnalisée et le recours systématisé à la violence.

Notre avis

Difficile de résumer l’intrigue de ce roman sombre en quelques phrases seulement tellement celle-ci s’est avérée dense. L’histoire se déroule à ***, une petite ville de province, anonyme, poussiéreuse, oubliée, qui se situe dans un pays jamais nommé (et peut-être imaginaire) mais qui rappelle par de nombreux détails la France. Suite à l’élection du président Révari, que l’on devine charismatique, populiste et rigoureux, l’atmosphère dans ce pays est en train de devenir étouffante de bien-pensance et de courants réactionnaires. Cible privilégiée de la politique sans concession du président : la communauté LGBT, qui commence tout juste de réclamer plus de visibilité et d’égalité devant la loi. Il n’est pas facile de grandir dans ce climat quand on est un jeune garçon et surtout quand on sait, en son for intérieur, qu’on est gay. Tel est, hélas, le cas du petit Sébastien, fils d’un dentiste et d’une professeure de lettres modernes (des parents distants, peu expansifs, peu aimants). Est-il trop efféminé, trop maniéré, dandine-t-il trop du popotin lorsqu’il marche ? L’on ne le sait pas, mais le fait est que, dès son plus jeune âge, il est la victime préférée de quelques brutes de cour de récré et subit brimades, injures, persécutions et même violences physiques. Heureusement qu’il a sa meilleure amie, Émilie, qui se bat toujours à ses côtés.

Arrivé au collège, les deux se mettent même en couple, un stratagème qui permet à Sébastien d’échapper pendant quelques mois aux attentions haineuses des plus acharnés : un quintet infernal formé par Noa, Guillaume, Pierre, Paul, et Cédric. Révari est toujours au pouvoir et pas prêt à le quitter ; le pays vire de plus en plus en dictature fascistoïde ; les groupes LGBT se sont carrément fait interdire, et les déviants – nouvelle appellation pour tous ceux qui s’opposent à la politique du président, mais avant tout les gays, lesbiennes, bisexuel(le)s et personnes trans – se font interner dans des camps de correction pour les plus jeunes, des camps de conversion pour les adultes. Nombreux sont aussi les articles de journal annonçant que le corps d’un énième « déviant » a été découvert dans la forêt qui jouxte la ville de ***. Après la découverte fortuite d’un pamphlet pro-LGBT dans sa sacoche, Sébastien voit son camouflage hétéro s’évaporer. Non seulement devient-il à nouveau la cible de la haine de ses camarades de classe, qui manquent de le lyncher un après-midi, mais il se voit renvoyer de l’école. Et Émilie semble si blessée par la révélation de son homosexualité que les deux cessent de se voir. C’est là que le professeur principal, M. W., propose au jeune garçon de rejoindre le MCO, le Mouvement contre l’oppression, qui combat les idées et politiques de Révari par tous les moyens, y compris violents.

Y compris le meurtre, par ailleurs. Pour vraiment devenir membre à part entière de ce groupuscule, l’on doit commettre un meurtre désigné comme « symbolique » mais qui, dans les faits, est un vrai acte où une personne, souvent un adversaire, se fait tuer. Sébastien jette son dévolu de vengeance sur Noa, la brute la plus féroce, le garçon qui a failli avoir sa peau au collège. Avec l’aide d’Émilie, qui s’est finalement approchée à nouveau de son ancien ami, Sébastien planifie et exécute l’enlèvement de Noa lors d’une fête de jeunes dans la maison de Cédric. Et ensuite…

Non, non, non. Ce serait gâcher votre plaisir de lecture que de tout vous raconter. Enfin, « plaisir »… À vous de trouver le mot juste, car « plaisir » n’est peut-être pas le plus approprié – trop faible pour une histoire qui a agi sur moi comme un coup de poing dans l’estomac. J’avoue même qu’initialement, je voulais donner une note beaucoup moins enthousiaste à ce roman tellement il m’a remué de fond en comble. Il est sombre à souhait, et après avoir galopé à travers les dernières pages bien après mon heure habituelle de dodo parce que j’avais besoin de savoir comment ça se terminait, j’ai découvert qu’il n’allait pas me lâcher de la nuit. J’ai réussi à dormir, certes, mais mes rêves furent hantés par lui. Au réveil, je me suis donc dit qu’il fallait laisser décanter tout ça pour y voir plus clair. Et finalement, j’ai décidé que je ne pouvais pas laisser ma note de lecture être influencée par le simple fait qu’un livre m’a dérangé. Au fond, déranger nos petites routines, bouleverser nos émotions, retourner nos propres penchants bien-pensants, perturber notre besoin d’espoir et de lumière par une noirceur glaçante, n’est-ce pas, aussi, le rôle de la littérature ?

Donc, 5 étoiles. Sans tergiverser. Car après tout, je n’ai rien à reprocher à ce roman, bien au contraire. Non seulement est-il écrit de main de maître, dans un langage accessible, tantôt terre-à-terre, tantôt enlevé, avec des éclats poétiques çà et là, sans fautes (j’ai dû en voir deux ou trois, ce qui est un vrai exploit pour tout roman, aujourd’hui – je n’en exclue même pas les miens). Non seulement l’histoire, dans toute sa sombritude, si j’ose dire, m’a-t-elle saisi, entraîné, happé même. Mais ce bouquin est vraiment bien construit, sous forme de récit d’encadrement : débuté par l’enlèvement de Noa, il passe par des flash-backs qui racontent l’enfance des deux protagonistes principaux, en passages alternants : Noa et Sébastien. Très intelligent, je tire mon chapeau, parce qu’ainsi, l’on a le point de vue et du bourreau et de la victime ; et le meilleur ou le pire dans tout ça – je n’ai pas réussi à trancher – est que j’ai sympathisé avec chacun des deux tout en les détestant. Ce qui me prouve que, loin du noir et blanc caricatural qu’une ambiance aussi ténébreuse que celle de cette histoire aurait pu engendrer presque organiquement, l’auteur a su garder son sang-froid pour me rappeler que les deux, Noa et Sébastien, sont humains, donc ni complètement ange, ni complètement diable.

Très bien fait aussi est le climat suffocant, presque claustrophobe crée par la concentration de l’intrigue dans le petit microcosme de cette ville de ***, jamais nommée, mais tellement bien décrite que j’ai eu l’impression de pouvoir me débrouiller tout seul si je devais y trouver mon chemin. Toute l’histoire s’y déroule ; elle est la scène de tous les espoirs, toutes les déceptions, tous les amours et toutes les haines. Ce livre est un roman que je recommande vivement – un récit glaçant, noir, plein d’amertumes, d’angoisses, d’espoirs et de trahisons. Je n’ai pas l’habitude d’émettre des mises en garde, mais je fais une exception cette fois-ci : ce roman n’est probablement pas la tasse de thé de tout le monde. Si vous cherchez du rose, de l’enlevé, du mignon, de la romance, de beaux sentiments – en un mot, un bouquin divertissant et léger –, celui-ci est excellent, mais pas à ranger dans ces catégories-là. Si je puis me permettre : lisez-le quand même. Et retenez le nom de cet auteur, qui, je l’espère sincèrement, continuera à écrire.

Infos

Auteur : Jimmy
Titre : Sébastien M.
Publié par : Librinova
Publié le : 9 avril 2020
Genre(s) : Roman noir, dystopie
Pages : 359
Lu par : ParisDude
Sensualité : 0 flammes sur 5

Note

5 étoiles sur 5

Où acheter

Un exemplaire gratuit de Sébastien M. nous a été envoyé par l’auteur.

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