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Nous étions l’histoire en marche

Synopsis

« Nous étions l’Histoire en marche » raconte la relation tumultueuse de deux cousins qui traversent l’histoire de l’Amérique de l’après-guerre jusqu’à nos jours, leur enfance de baby boomers, la découverte de leur sexualité, leurs amours, leurs ruptures et réconciliations, avec en contre-champ, la naissance d’Act Up, Woodstock, l’explosion du disco, la consommation de drogues, les fêtes fastueuses de Fire Island Pines, les folies douces de San Francisco, le militantisme de Greenwich Village et toute une série de clins d’oeil aux personnalités et à l’histoire de notre temps. Un roman au souffle large et puissant, qui se déploie comme une épopée, et que l’écrivain Edmund White a comparé à un équivalent gay de « Autant en emporte le vent ».

Lors de sa parution en anglais, ce livre été salué par le journal Le Monde comme un véritable événement. Felice Picano a été présenté comme un « chroniqueur partial, tendre, tantôt amusé tantôt en colère, mais avec la sagesse acquise du témoin qui utilise son sens de l’humour pour mettre en perspective les années passées. » Avec ses répliques de folles, ses potins mondains, son ton irrévérencieux et inégalable, mais aussi grâce à sa puissance d’évocation, à son exploration de la diversité sexuelle et de la condition homosexuelle, « Nous étions l’Histoire en marche » s’impose déjà comme le roman queer par excellence de la fin du dernier millénaire. Une réussite indéniable.

Note : Dans cette fiche, je vais surtout parler de la version anglaise de ce roman, Like People in History, puisque l’éditeur m’a fourni un exemplaire gratuit. Mais j’ai également lu la version française, donc vous trouverez les liens des deux à la fin.

Notre avis

Ma bibliothèque contient plusieurs livres gay emblématiques qui se trouvent là non pas parce que ce sont des classiques tels que Maurice de E.M. Forster (un livre que j’aime aussi beaucoup), mais parce que ce sont les premiers livres gay que j’ai lus. Un de mes meilleurs amis me les a recommandés après mon coming out, et comme seuls les bons amis savent le faire, il a parfaitement deviné mes goûts – ces livres, je les ai adorés, et je les adore toujours (juste pour info, je les ai tous lus en anglais). Je me souviens que mon tout premier roman gay était Le langage perdu des grues de David Leavitt, bientôt suivi par la merveilleuse série Les Chroniques de San Francisco d’Armistead Maupin, Le danseur de Manhattan d’Andrew Holleran, Un jeune Américain d’Edmund White, et… ce livre-ci. Il ne m’a pas été recommandé, en revanche ; je pense que je l’ai acheté par hasard lors d’un voyage à Londres – probablement l’année de sa première publication. À l’époque, je l’ai lu, et je l’ai immédiatement adoré. J’ai dû le relire une bonne douzaine de fois, depuis lors, et je l’ai recommandé à tout le monde autour de moi, y compris dans sa version française. J’ai d’ailleurs eu la chance de trouver un exemplaire d’occasion que j’ai offert à mon compagnon à Noël. Quand je dis que j’ai eu de la chance, c’est à prendre au pied de la lettre – le livre français Nous étions l’histoire en marche est épuisé depuis un bon moment, et la même chose semble être vraie pour la version anglaise. Un grand merci donc à ReQueered Tales, qui a eu la bonne idée de republier des classiques gay des années 80 et 90 et qui m’a fourni la version e-book, que j’ai donc lu pour la treizième fois. L’ai-je adoré une nouvelle fois ? Tout à fait. Ai-je été emporté par la fluidité de l’histoire ? Tout à fait. Ai-je détesté Alistair, suis-je tombé amoureux de Matt ? Tout à fait. Ai-je ricané, ai-je ri ? Tout à fait. Ai-je pleuré de chaudes larmes de tristesse ? Tout à fait. Après treize lectures, Like People In History réussit toujours à déclencher toutes ces réactions émotionnelles en moi, tellement le livre est excellent. Pas parfait, juste… vraiment excellent.

Alors, l’histoire, c’est quoi ? Roger Sansarc, le narrateur à la première personne âgé d’une cinquantaine d’années, commence par relater l’intrigue d’encadrement, qui se déroule au début des années 90 à New York. Lui et son amant du moment Wally, jeune, beau et politiquement actif, sont invités à célébrer l’anniversaire du cousin de Roger, le riche et chic Alistair Stodge, à qui Roger est lié par une sorte d’amour / haine depuis leur neuf ans. On comprend tout de suite que ce sera le dernier anniversaire d’Alistair. Il a le SIDA et est en train de mourir. Pour cette raison, il a demandé à son cousin de lui fournir des somnifères qui lui permettront de faire la fête une dernière fois, puis de quitter ce monde de la façon qu’il estime être la plus digne. Contre l’avis de Wally, presque malgré lui, Roger est d’accord. Après la fête, lui et Wally rejoignent une manif organisée par ActUp devant les logements officiels du maire à Gracie Mansion pour protester contre l’insuffisance des moyens investis dans la recherche liée au sida et le soutien des malades. Au cours de la manif, un malentendu provoque une querelle dans le couple, et pour prouver son amour à Wally, Roger aide d’autres activistes à déployer une énorme bannière depuis le toit de Gracie Mansion. Il se fait arrêter, puis libérer par un ami et avocat de longue date, et récupérer par Wally. Maintenant, Roger veut retourner à l’appartement de son cousin le plus rapidement possible afin d’empêcher Alistair d’avaler les somnifères. Je ne vais pas révéler la fin de cette intrigue, mais c’est haletant.

Tout aussi importants que ce cadre sont les six longs flash-backs aux jeunes années de Roger et Alistair. La première histoire remonte aux années 50, lorsque les cousins se sont rencontrés pour la première fois, et le dernier souvenir retrace leur dernière réconciliation six ans avant l’histoire qui sert de cadre. Toute l’Histoire des États-Unis de ces années-là est ainsi passée en revue, avec un focus sur l’Histoire des homos (mouvement de libération, la lutte pour l’égalité et les droits, fêtes et ensuite les morts par milliers), tout comme le synopsis le promet (consultez-le pour plus de détails) – c’est, pour une fois, un synopsis qui ne promet pas trop. Ce rappel de l’Histoire est accompli de façon subtile et reste en arrière-plan. Au premier plan, il y a toujours Roger et Alistair ainsi que leur relation intermittente, si j’ose dire. Parce que oui, les deux se séparent plus d’une fois, faute à Alistair, un homme sans morale, mais très ambitieux, mais aussi à Roger, qui admire son cousin, quelque part, est fasciné par lui, puis finit toujours par se dégoûter de lui et trouve la force nécessaire pour le virer de sa vie.

J’avoue, la première fois que j’ai lu ce roman, j’ai vraiment détesté Alistair, presque passionnément. Il est tout ce que je méprise : hautain, suffisant, sûr de son importance, ambitieux, prêt à tuer père et mère pour obtenir ce qu’il veut. Roger, quant à lui, est doux, un peu faible, naïf, quelqu’un d’aimant et d’attentionné, mais qui se bonifie au fil des années, comme un bon vin. Soit dit en passant, j’ai lu quelques critiques négatives qui se concentraient principalement sur ces deux personnages principaux, décrits comme des personnages que l’on ne pouvait pas aimer, auxquels l’on ne pouvait ni croire ni s’identifier, ce pour quoi aucune personne sensée ne saurait aimer ce livre. Eh bien, je ne suis pas d’accord. Pour commencer, je ne me suis pas seulement attaché aux personnages, mais me suis même identifié plusieurs fois à Roger (mon côté mou, sans dessein, sans but, procrastinateur). Deuxièmement : oui, c’est vrai, je ne peux pas dire qu’Alistair ou Roger soient des modèles positifs ou des héros. Les deux ont leurs faiblesses, leurs lacunes, leurs angles morts. Plus d’une fois, je me suis surpris à vouloir protester et rentrer personnellement dans l’intrigue pour secouer l’un ou l’autre. Mais depuis quand les romans ont-ils nécessairement besoin de personnages sympathiques ? Les livres peuvent parfaitement fonctionner avec des personnages antipathiques s’ils sont suffisamment étoffés, crédibles, vivants. Plus je relis le livre, plus je me rends compte que je ne déteste vraiment aucun des personnages. Une fois qu’ils ont « vécu leur part » dans le livre et fait leur bonhomme de chemin, ils se sont rachetés, à mes yeux (pas que se racheter soit le but ultime de ce roman). Troisièmement, j’ai trouvé Alistair et Roger très réels, très plausibles. Non pas des personnages en noir et blanc, pas même Alistair, mais peint dans mille nuances différentes, avec beaucoup de teintes d’ombre et de lumière. Le très ambitieux Alistair, toujours à la poursuite d’un rêve lointain de grandeur, d’éminence et de richesse, mais sans jamais y arriver. Il est riche, il a les amis les plus raffinés qu’on puisse imaginer, il est influent, mais est-il heureux ? A-t-il jamais vaincu son immense jalousie vis-à-vis de son cousin ? Et Roger, qui ignore ce qu’il veut, qui erre sans but précis, mais qui progresse lentement, en cercles, de succès en échec en succès en échec, et chaque nouveau cercle le porte à un niveau plus élevé que le précédent (je parle de niveaux de contentement, de niveaux de compréhension) – trouve-t-il ce qu’il veut ?

Ces deux hommes me rappellent souvent deux aspects d’un seul caractère, deux parties que l’on pourrait facilement imaginer vivre et lutter côte à côte en une seule personne (le docteur Faustus de Goethe aurait dit : « Zwei Seelen wohnen, ach, in meiner Brust… »). Entre eux deux, au milieu, on trouve un héros superbement beau et tragique dans le sens de la tragédie grecque classique : Matt Loguidice, vétéran des Marines, poète, âme perdue, catalyseur et catharsis pour Alistair et Roger. L’histoire d’amour entre lui et Roger est sans aucun doute l’une des plus belles et des plus tristes que j’aie jamais lues. C’est le personnage dont je suis tombé amoureux – la quintessence de l’amant parfait si seulement on trouve cette place en soi qui s’ouvre au véritable amour pur, sans poser de questions. Roger et Alistair y arrivent finalement, quand il semble presque trop tard. Matt était la raison pour laquelle j’ai pleuré la première fois que j’ai lu ce livre ; Matt était la raison pour laquelle j’ai pleuré les douze fois suivantes, à chaque nouvelle relecture.

Qu’est-ce qui me rend si émotif à chaque fois que je lis Like People In History ? Qu’est-ce qui me fait dire que c’est un livre important, un livre qui devrait être dans le programme scolaire de littérature, un livre incontournable pour les gays ? Plusieurs choses. C’est bien écrit, c’est sûr. Felice Picano montre sa capacité à créer des personnages avec profondeur, l’histoire est bien rythmée, la fin parfaite. Dialogues pleins d’esprit, sous-intrigues et histoires secondaires intéressantes ; même les personnages secondaires suffisamment esquissés pour ressembler à de vraies personnes (dont certains l’étaient, je suppose). Mais l’essentiel pour moi est : ce qui est dit dans ce livre fait en quelque sorte partie de mon ADN, de mon Histoire, tout aussi importante que toute la lignée d’empereurs autrichiens, les deux guerres mondiales, les combats de mes grands-pères pour les droits sociaux, la rencontre de mes parents, etc. Je suis gay ; par conséquent, je ressens une envie primordiale de connaître l’Histoire de mes frères et sœurs LGBTQ, en particulier les combats importants qui ont abouti à ce que je sois aujourd’hui tel que je suis: un homme gay, la quarantaine finissante, qui est capable de vivre ouvertement avec et d’aimer son compagnon sans se cacher. Like People In History me donne un aperçu de cette période où les combats ont été menés et de la génération qui les a menés. Cependant, le livre ne le fait pas comme le ferait un livre d’Histoire ; rien n’est raconté, tout est montré. Et en montrant, l’auteur joue sur mes émotions comme peu d’autres écrivains le font.

Pour résumer cette longue critique : tout le monde connaît la fameuse question « Quel livre aimeriez-vous emmener avec vous si vous étiez coincé sur une île abandonnée ? » Ma réponse, et cela ne fait aucun doute: celui-ci. Pour la version française, je voudrais juste ajouter deux choses encore. Primo, je ne sais pas qui a décidé que le titre sera Nous étions l’histoire en marche, mais je préfère de loin le titre anglais, plus aérien, plus poétique, moins arrogant. Deuzio, que le lecteur intéressé doive chercher un exemplaire d’occasion n’est pas la fin du monde, mais il serait peut-être temps de songer à une ré-édition de ce roman pour le vingt-cinquième anniversaire de sa publication, non ?

Infos

Auteur : Felice Picano
Titre : Nous étions l’histoire en marche
Publié par : Stanke
Publié le : 3 mai 2001
Genre(s) : Littérature
Pages : 697
Titre de la VO : Like People In History
Publié par : ReQueered Tales
Publié le : 28 janvier 2020
Lu par : ParisDude
Sensualité : 2 flammes sur 5

Note

5 étoiles sur 5

Où acheter

Un exemplaire gratuit de Like People In History nous a été fourni par l’éditeur en échange d’une critique sincère et honnête. Cette fiche de lecture a déjà été publiée dans sa version anglaise sur Rainbow Book Reviews.

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