Synopsis
« Tout à coup, Taïm sortit de son silence et me demanda si je voulais prendre le sentier qui menait à la maison abandonnée ― la maison où, il y a deux ans, l’homme était apparu avant de s’évaporer. J’acquiesçai. Avec le temps, cette maison était devenue un lieu de fugue. Cachée derrière les arbres, elle abritait les secrets du village et ses idylles clandestines, prenant la forme d’un univers clos, d’un territoire dans lequel tout ce que s’y produisait s’effaçait, s’oubliait. Ce fut à ce moment-là, dans le jardin de la maison, que Taïm m’embrassa. »
Dans un village caché sur les hauteurs du Liban, sur le flanc d’une colline altière et aride, Emile reçoit le baiser interdit de Taïm. L’instant d’après un bruit étrange, comme une légère explosion, et de la fumée qui sort de la fenêtre de la maison en ruines- Puis, les jours qui suivent, une question qui ronge le jeune homme : les deux adolescents ont-ils été aperçus par l’excentrique qui hante les lieux ? Que se passerait-il si le terrible ?
Notre avis
Voici un jeune auteur qui sait écrire et qui le fait avec intelligence, avec intuition, avec son cœur. Non seulement ça, mais il sait aussi, de façon presque organique, comment construire son récit – la preuve, il le fait démarrer par une déflagration qui prend immédiatement aux tripes et invite à tourner les pages : un homme s’immole et meurt lentement, dans une agonie innommable…
L’endroit, découvre-t-on, est un petit village montagnard, perdu, oublié, rude, en-dehors du temps, situé au fin fond du Liban. Y vit une communauté, pauvre dans sa grande majorité, attachée à ses légendes, ses héros, ses saints, ses croyances, ses superstitions ; c’est un endroit qui sent le renfermé et où tout le monde connaît tout sur tout le monde. Non pas que l’on s’épie, mais on se côtoie de manière si étroite que les secrets se refoulent obligatoirement au plus profond des êtres. On est dans les années 90 (du moins, c’est ce que l’on peut déduire des nombreuses clés disséminées dans le récit) ; la guerre civile a laissé des traces indélébiles, des meurtrissures, des traînées noires sur les âmes. Les milices s’entre-déchirent toujours, et les Syriens occupent encore une partie du pays. Les gens sont résignés, car « [i]ci, il n’y a que des occupations qui s’enchaînent. L’histoire de notre pays, c’est une histoire d’occupation. Avant qu’une période d’occupation s’achève, un autre pays nous occupe déjà. »
Le protagoniste se nomme Émile. C’est un jeune ado qui vit avec ses parents, un père ouvrier saisonnier, une mère au foyer, les deux taciturnes, apathiques, vaincus par le destin, la vie, le poids de l’existence : « Après avoir raté une opportunité d’émigrer, mes parents s’étaient résolus à une vie presque muette ; et tout ce que je connaîtrais d’eux serait des échanges émiettés au fil du temps. » C’est l’hiver. Le garçon rentre chez lui, mais au lieu de prendre le bus, il se laisse persuader par un camarade de classe qu’il ne connaît que de vue de marcher à pied. Les deux passent devant une maison que tout le monde croit maudite et que hante son seul habitant, Saba, un homme excentrique et rejeté par les villageois car il passe pour fou à lier. C’est là, dans le jardin de cette lugubre habitation à la réputation sulfureuse, que le camarade, Taïm, sans crier gare vole un baiser à Émile.
Confusion, honte, attirance… auxquels se mêle la singulière histoire de ce Saba aux mille passés, aux milles souvenirs, aux mille regrets, aux mille leçons à apprendre à Émile… le tout dans un décor spatio-temporel peint à la façon pointilliste par un auteur à la plume unique.
Ce court roman a été récompensé par le Prix du roman gay 2023 dans la catégorie Découverte, et le jury ne s’est pas trompé. C’est une immersion totale, corps et âme, dans une histoire forte, un récit d’apprentissage aux parfums doux-amers de la nostalgie. Une étrange beauté lasse et en même temps entraînante se dégage de ses pages empreintes de poésie, comme le charmé d’une fleur fanée. L’écriture de Samer Nouh y est pour beaucoup – un français impeccable, mesuré, empathique, qui révèle des profondeurs même dans les phrases les plus anodines. Chaque mot est dosé, pesé, employé à bon escient, pour tisser ce voile diaphane qui attire le lecteur et la lectrice.
On s’attache immédiatement au petit Émile, qui a cet âge où on a encore l’imagination fertile de l’enfant, où on est impressionnable, absorbant comme un buvard. Émile observe, écoute, essaie de digérer. Il se pose beaucoup de questions et, ce faisant, questionne aussi les fondements de ce qu’il croyait immuable car transmis par les générations antérieures. L’auteur, adulte, prête aussi ses interprétations a posteriori au garçon, lui donne les mots pour s’exprimer, lui impose ses vues de « grand » sans jamais l’écraser. En résulte un mélange très étrange, très réussi du point de vue littéraire, qui insuffle cette pointe d’exotisme que le cadre semble presque exiger. On ne va pas au Liban pour manger une quiche lorraine, si j’ose dire. On veut de la fatteh, du loubieh, de la moghrabieh…
Et l’auteur excelle à faire sonner comme exotiques des mots tout ce qu’il y a de plus banals simplement en les choisissant avec un grand doigté et en les assemblant avec brillance. J’ai vraiment été happé dès les premiers paragraphes, dévorant le livre comme s’il s’agissait vraiment d’un de ces bons plats libanais pleins de saveurs que je viens de citer. C’était beau, c’était prenant, c’était en plus de l’Histoire avec un grand H dissimulée, dissoute, présentée par petites touches indolores dans l’histoire avec un h minuscule (ce qui, pour un historien amateur comme moi, ajoute encore plus d’attrait).
Je ne le dis pas souvent parce que je n’aime pas dicter aux gens quoi lire, mais là, franchement, c’est un livre qu’il ne faut surtout pas rater !
Infos
Auteur : Samer Nouh
Titre : Un après-midi sous la neige
Publié par : Tropismes
Publié le : 2 juin 2023
Genre(s) : Littérature, coming out, récit d’enfance
Pages : 140
Disponible en : Ebook & broché
Lu par : ParisDude
Sensualité : 0 flammes sur 5
Note
5 étoiles sur 5
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L’auteur
Né le 13 mai 1991 au Liban, SAMER NOUH s’installe à Paris en 2016 afin de poursuivre des études de cinéma à l’université Panthéon-Sorbonne. Il rédige un mémoire sur le désir homosexuel dans le cinéma égyptien et réalise des courts-métrages. Un après-midi sous la neige, son premier roman, à l’écriture photographique et poétique, s’inscrit dans la lignée de ses recherches.
