Synopsis
Le grand-père ne connaît pas la source de son émoi. Vivre un amour secret, sans que jamais personne n’en apprenne rien, c’est presque être sur une île déserte. Cette histoire est de celle qui transforme une vie en remettant en cause tout ce que l’on a appris, connu et réalisé dans son parcours d’homme. Dans ce type d’amour, il est vierge, à 75 ans. Il se dit « Ce changement de vie, s’il y a, ne durera pas une éternité, mais pour ce gamin, c’est une autre histoire » … Là, on n’est plus sur une île déserte… »
Un récit prenant, teinté d’humour, le parcours initiatique d’un enfant précoce, trop précoce.
Dans le Pas de Calais avant et après 1968, une plongée dans la vie de gens ordinaires : une société en pleine mutation, des potaches délirants, des amours adolescentes, de vieux habitués d’un bar et une relation tellement particulière. La plage en toile de fond et les musiques des années 70 pour accompagner l’émotion.
Notre avis
Les mots ont ce pouvoir de nous ensorceler, de nous faire vivre une histoire de l’intérieur, comme si l’on y était, pour insolite qu’elle soit. Bien employés, ils peuvent en transformer la teneur et la saveur auxquelles on s’attendait, et dans un même élan balayer nos certitudes. Pensez donc – présenter le récit d’un amour entre un pépé septuagénaire et un adolescent et réussir l’exploit d’en expurger tout ce que l’on pourrait imaginer de sordide, de pervers, de sale ! Paul Regers l’a fait dans ce roman qui en impose, et non seulement par ses plus de 700 pages si merveilleuses.
Nous sommes au tout début des années 70, dans une tranquille station balnéaire du Pas-de-Calais. Y vit le petit Éric, tout juste dix ans. Ses parents tiennent le Bar des Sables. Faire tourner cette affaire est un effort quotidien, s’occuper en plus d’un gamin serait trop demander. Non pas qu’il soit délaissé ou qu’il manque d’amour, mais les parents restent un peu à la marge de sa vie. La grand-mère Yvonne, qui vit avec eux et devient la préposée au bien-être du petit, est bien plus présente. Femme pieuse, travailleuse, chaleureuse et nourricière, elle veille à ce qu’il ne manque de rien et qu’il reste dans le droit chemin. D’ailleurs, personne n’a trop de souci à se faire – Éric est un bon gamin, bien élevé, studieux, charmeur, curieux d’apprendre. Quand il rentre de l’école, il s’installe dans un coin du bar où il ne dérange personne et y fait ses devoirs. Ce rituel devient une deuxième école, de celles qui vous apprennent bien plus de choses que celles, institutionnelles, qui portent ce nom. Comme tous les enfants, il voit tout, il entend tout. Ainsi remarque-t-il les habitudes d’un groupe de retraités, toujours les mêmes, qui débarquent au bar jour après jour pour boire leur godet, leur ballon, leur Picon-bière tout en commentant les gens qui passent, le temps, les évènements, les ragots locaux. L’atmosphère reste bon enfant, rares sont les dérapages, grand-mère Yvonne y veille. Et Éric est ravi. Il a adoré son papy, Henri, le mari communiste d’Yvonne, disparu trop tôt, lequel représentera à jamais la force tranquille, la protection, l’amour inconditionnel pour l’enfant.
Pas étonnant donc qu’il l’aime bien, son groupe de retraités. Pendant très longtemps, sa préférence va sans conteste à Malek. Ce vieux Polonais malicieux et bavard, au verbe bien trempé et au clin d’œil complice, non seulement lui apporte de temps en temps des friandises, il a aussi, un jour, la bonne idée de demander à son ami Roger de devenir le mentor du gamin. Éric ramène de bonnes notes, certes, mais on peut toujours faire en sorte qu’elles soient meilleures. Roger se prête volontiers à cette mission ; elle lui permet d’oublier la maladie de sa femme et de faire profiter de sa bonne culture générale et de ses savoirs cet enfant qui ne demande que ça.
Roger, taillé comme une armoire à glace, toujours bel homme, d’habitude plutôt taciturne et rigide, découvre que côtoyer le petit Éric est un réel plaisir. De fil en aiguille, il ravit le rôle de pépé favori à son copain Malek. Éric le trouve juste parfait, physiquement, moralement, tout lui va. Et dans sa tête encore en formation germe un projet qui, malgré la gravité des termes, garde toute son innocence enfantine : il veut faire l’amour avec ce nouveau papy adoré. Il ne sait même pas ce que ça signifie, mais il est convaincu que c’est exactement ce qu’il veut. Comment gagner ce pari que le gamin fait avec lui-même ? Comment vaincre les réticences de cet homme âgé, marié, hétéro, et bien sûr loin de se douter de ce qui se trame dans le cœur et le cerveau de son petit protégé ?
Oui, je l’avoue, quand j’ai lu le résumé de cette histoire, je suis resté quelque peu circonspect. Un gamin de dix ans qui veut faire l’amour à un vieillard, disons les choses par leur nom, est-ce que j’ai envie de découvrir de quoi il en retourne ? Heureusement que je suis d’un naturel très curieux, ce qui me permet de dire, une fois que j’ai refermé ce volumineux livre, qu’il est indéniablement devenu un véritable coup de cœur, pour moi. Rien, dans ce récit ne m’a rebuté, dérangé, perturbé. Tout était limpide, tout sonnait vrai, de cette vérité que revêt souvent une histoire vraiment vécue. Les petites touches d’aquarellistes qu’emploie l’auteur pour me plonger dans une époque, un milieu social, une contrée précis n’y sont pas pour rien. Je me suis demandé plus d’une fois si l’auteur lui-même ne se cachait pas derrière le petit Éric tellement tout ce que ce gamin pensait, disait, faisait, avec charme et détermination, m’a frappé par son côté plausible, vraisemblable, authentique.
Ce roman est long – 720 pages, comme je l’ai déjà dit plus haut – et lourd comme objet (je me suis quelque peu remusclé les bras), mais je me suis ré-ga-lé. La plume de Paul Regers est accessible, droite, sans grandes envolées baroques, et coule comme un ruisseau printanier sur des galets. Le cours en est lent, empreint de tendresse et de justesse, baignant dans un milieu et une époque formidablement bien croqués, comme à vif ; mais attention, lenteur n’égale pas longueur ! De celles-là, aucune trace. Les chapitres plutôt courts et bien découpés s’enchaînent sans que l’auteur ne s’attarde jamais avec lourdeur sur un seul fait, une seule description, une seule pensée. Il y a des retours en arrière fort bien amenés et qui tombent toujours au bon moment, au bon endroit, pour approfondir tout en divertissant et en diversifiant. On passe donc d’une étape de la narration à une autre avec légèreté, et j’ai suivi avec délectation les années qui passaient, les dix ans d’Éric, les onze ans, les douze ans, treize, quatorze, quinze, seize… J’ai accompagné l’évolution de ce gamin comme si j’y assistais pour de vrai, j’ai aussi suivi l’évolution de sa relation avec son papy de cœur.
Éric est le caractère pivot de cette histoire. Mais il ne parle pas à la première personne, ce qui permet à l’auteur, du haut de son omniscience, de partager aussi des petites bribes de vécu du côté de Roger et parfois même de Malek. On comprend mieux ce qui se passe dans leurs têtes, ils discutent de tout, même quand la situation se complique, et se disent les choses avec franchise et une surprenante ouverture d’esprit.
Je ressentais fortement les choses, surtout cet amour qui petit à petit s’installe entre l’homme de soixante-dix ans (et plus, avec les années) et l’enfant, la complicité, voire petit à petit le désir avec son lot de questionnements pour l’un et pour l’autre, son lot de renoncements, son lot de doutes. Oui, tellement j’étais pris dans l’histoire que la fin, que je ne vous raconterai pas, malgré sa prévisibilité, son inéluctabilité, m’a cueilli comme une fleur (bleue). J’ai versé ma petite larme car le rusé Paul Regers l’amène de façon si inattendue que, le regard embué et en faisant un Sniff! discret, j’ai quand même été obligé de tirer mentalement mon chapeau.
Un premier roman ? Il parait, oui, mais écrit par quelqu’un, on le sent, qui sait écrire, qui sait raconter. Je pourrais encore continuer pendant des heures, mais je sens que mes mots ne feront jamais justice à ce que j’ai ressenti. Je crains aussi que mes superlatifs lassent, à la longue. Je ne voudrais pas être trop dithyrambique, mais c’est un véritable gros bijou que ce roman, que je recommande sans ambages. Préparez-vous à être surpris, charmé, conquis, attendri…
Infos
Auteur : Paul Regers
Titre : Les histoires secrètes n’existent pas
Publié par : MVO Editions
Publié le : 24 août 2023
Genre(s) : Romance, différence d’âge, apprentissage, récit
Pages : 720
Disponible en : Broché
Lu par : ParisDude
Sensualité : 2 flammes sur 5
Note
5 étoiles sur 5
Où acheter
Partager :
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Reddit(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Pinterest(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Tumblr(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
Un grand merci pour ce retour de lecture en totale osmose avec mon ressenti lors de la découverte du manuscrit de ce roman, merci pour la justesse de votre analyse et la qualité de votre écriture. Publier cet ouvrage, au sujet inédit et délicat, était une décision osée tant le risque de dérive vers une interprétation malsaine et outrancière semblait inévitable dans le contexte actuel de montée en puissance des sentiments haineux de toutes natures. Pourtant nous n’avons pas hésité et nous nous en félicitons car le livre suit son chemin et récolte toujours plus d’avis enthousiastes et bienveillants à l’image de votre chronique, un chemin qui, nous le souhaitons, ouvrira les esprits à toujours plus d’écoute, de compréhension et de tolérance.
Nous partagerons votre chronique sur notre page Facebook samedi 20 juillet.
Marie Liebart – MVO Éditions