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Comment tout a commencé (de ParisDude)

Synopsis

Paris, rue d’Austerlitz, 1979. A l’Hôtel de Bourgogne, la vie s’écoule, rythmée par les allées et venues des clients, des voisins, des employées : M. Boulanger, occupant à vie de l’hôtel, Maria, femme de chambre épouse d’un braqueur, les filles qui tapinent au coin de la rue, Jacky, barman au célèbre cabaret de travestis Chez Michou…

Complexée par son poids, colérique, Annick tient comme elle peut son hôtel et son mari, Gérard, une brute alcoolique et raciste qui baise tout ce qui bouge. Sans oublier ses enfants, Rémi et puis l’aîné, qu’elle surnomme Jean de la Lune. Celui-là n’est pas le fils espéré, toujours ailleurs, pas dans les clous, ce garçon qui rêve de devenir majorette…

Un mercredi de septembre, à l’heure du déjeuner, la police embarque la patronne pour proxénétisme. Il voit sa mère monter dans le panier à salade. C’est le déclic. La fin de l’enfance. Son père, devenu groupie de Jean-Marie Le Pen, le fils le hait si fort qu’il souhaite et planifie sa mort.

Comment faire lorsqu’on découvre que l’on n’est pas dans la norme virile imposée et qu’au même moment l’homosexualité devient synonyme du « cancer gay », le sida ? Comment affronter l’homophobie de l’époque ? Comment se construire quand on ne se demande pas ce que sera sa vie, mais à quoi ressemblera sa mort ?

La peinture émouvante et terrible d’une période charnière, dont les drames croisent ceux d’une adolescence pas comme les autres. Et une bouleversante voix d’enfant, sa mue poignante et, malgré tout, vitale.

Notre avis

J’étais très curieux de voir quel était le livre qui avait remporté le Prix du livre gay 2019. Sans aucune idée préconçue, sans même lire le synopsis (qui ne m’aurait probablement pas attiré, à vrai dire), j’ai acheté ce livre on peut dire les yeux fermés. Et franchement, j’ai bien fait. Non tant pour l’histoire en elle-même, que certains jugeront peut-être banale, voire triviale (ce que les Américains appelleraient une Coming-of-age-story), mais pour le ton, ce ton magique qu’emploie l’auteur et qui, tout en mots et tournures, a fait naître devant mes yeux tout le film de ce jeune enfant qui doit grandir dans la douleur, grandir pour devenir vraiment lui-même.

Le protagoniste est donc un gamin, au début de cet âge ingrat, cet âge laid où l’on n’est plus dans les certitudes de l’enfance et pas encore dans la (re-)construction, la (ré-)invention de soi de l’adolescence. Avec sa famille, il habite l’Hôtel de Bourgogne dans une petite rue, entre la place de la Bastille et la Gare de Lyon. La mère : une femme lourde, dans tous les sens du terme ; non seulement elle est en surpoids, mais elle pèse, d’abord au sein de la famille, puis au sein de l’imaginaire, au centre de la vie même de son fils aîné, qu’elle semble parfois écraser sous ses kilos excédentaires. Son père : un poids plume, une petite chose, quantité négligeable, alcoolique, volage, et pourtant, de par sa masculinité facile, non-questionnée, comme le cliché en négatif du narrateur, le pivot auquel une sorte de haine-amour le lie. Puis, un petit frère qui n’est là que pour être bête, gênant, comme un boulet.

À ce cocon familial, il faut ajouter une ribambelle de personnages qui peuplent le même quartier. Nous sommes au début des années 80, les quartiers parisiens ont encore ce côté petit village ; tout le monde se connaît, tout le monde se parle, tout le monde s’épie, tout le monde sait tout sur tous les autres. Il y a encore une vie, dans les rues ; il y a encore de l’entraide. Au coin tapinent les prostituées, que les enfants côtoient après l’école, et personne ne voit rien à y redire. En face loge un Monsieur qui travaille Chez Michou ; un inverti, pensez donc ! ; on ne va pas s’inviter chez lui, on ne va pas trop lui parler non plus, mais on ne l’ostracise pas, parce que Chez Michou, c’est une bonne adresse, c’est un bon boulot. Les habitants de la rue oscillent entre monde ouvrier et petite bourgeoisie (propriétaires d’hôtel et artisans) avec quelques éléments de la petite délinquance, selon les on-dits des bien-pensants. Les gens sont tous particuliers, ils ont tous un grain, sont tous des Personnages avec leur P majuscule bien mérité, tous plus grands que nature, tous un peu excentriques.

Ce qui est très bien vu, c’est que tout ce petit monde ne doute jamais. C’est encore un monde de certitudes inébranlables, un monde en noir et blanc : nous, et en face, les autres ; nos vérités, et en face, les non-vérités. Le père commence par jubiler quand Mitterand se fait élire, puis le méprise rapidement, déçu, se tournant de 180° pour encenser Le Pen. Puisqu’il n’a pas appris à interroger le système ni à interroger son propre rôle dans ce système, il suit, comme un mouton, et peste contre les arabes, les noirs, les juifs. Et le petit narrateur, lui, se découvre dans ce monde qui sent un peu le renfermé, le rance, le vieillot. Il s’interroge, lui ; il interroge père et mère ; il détecte les différences entre lui et autrui avec plus de perspicacité que les autres ne le perçoivent. Du coup, il se fait son propre auto-coming-out de façon très précoce (avec jeux amicaux et sensuels avec un copain à un âge assez précoce aussi) et doit commencer à se construire alors que les journaux font rimer homosexuel avec pestiféré (c’est le début du sida, à cette époque-là – le soi-disant « cancer homo »).

Au risque de me répéter, j’ai bien fait de m’être procuré ce livre. C’est un petit bijou, une perle, extrêmement bien écrit, touchant, fascinant. Pas tellement une autobiographie (alors qu’il paraît qu’il s’agit là de souvenirs personnels de l’auteur), plutôt un roman littéraire, dans le meilleurs sens du terme, sans aucun côté pédant ou pesant. L’auteur sait non seulement écrire, mais écrire pour le plaisir du lecteur (ce n’est pas forcément la même chose) ; il sait faire vivre des personnages et toute une époque par quelques lignes bien ciselées. Mon côté maniaque me pousse à mentionner qu’une bonne poignée de virgules aurait peut-être pu rendre quelques passages plus clairs. Mais pour une fois, je me suis fait à leur absence ; je peux être particulier en ce qui concerne les virgules, je l’avoue – elles existent quand même pour de bonnes raisons, et il y a des règles pour les utiliser. N’empêche, dans ce livre, leur inexistence a donné un flux étrange, irréel, envoûtant à la prose, et cette ambiance a été renforcée par l’absence totale de guillemets pour les dialogues.

Juste une dernière chose, une chose qui me tient à cœur, on va dire un appel du pied à destination des maisons d’édition : demander 13 € 99 (oui, vous avez bien lu : 13 € 99 !) pour la version Kindle d’un roman, fût-il récent, n’est pas seulement exagéré, mais abusé, et je ne comprends pas trop le sens d’une telle politique commerciale.

Infos

Auteur : Philippe Joanny
Titre : Comment tout a commencé
Publié par : Grasset
Publié le : 16 janvier 2019
Genre(s) : Littérature, Autobiographie
Pages : 247
Lu par : ParisDude
Sensualité : 2 flammes sur 5

Note

5 étoiles sur 5

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