Synopsis
« Gay. Je l’étais. Je le suis. Je l’ai toujours été. J’en aurais mis du temps pour me trouver. La réponse à des questions qui m’accompagnaient depuis toujours. Le début d’une nouvelle vie aussi. Mais, très vite gâchée par des années à se perdre dans les bordels pour mecs. A croire pouvoir y trouver le grand amour. Oui, le grand amour dans une backroom. Faut vraiment être con ! Aujourd’hui, je m’interroge. Qu’est-ce que j’allais vraiment y chercher ? Je ne sais pas trop en fait. Et maintenant. Qu’est-ce que je veux ? Parfois, je crois le savoir avec certitude. Parfois, je doute. En cette journée, je vais peut-être le découvrir. »
Nous sommes un vendredi, dernière journée de travail et soir de sortie. La journée commence à 6 h 30 pour se terminer à 1 h du matin. Entre flashbacks sur sa vie passée et instants de vie présents, l’auteur, dont le récit est en grande partie auto-biographique, évoque, au fil des moments qui parsèment cette journée, son parcours intime : la découverte de son homosexualité (son sentiment de décalage vis-à-vis des autres garçons lors de ses jeunes années, ses premiers pas sur le chemin de sa vie d’adulte, …), sa quête de l’âme frère et ses errements dans les sex-clubs. Un chemin au cours duquel il se perd et qui le conduit, aujourd’hui, à renoncer à l’amour pour se satisfaire de simples relations low-cost. A moins que cette journée ne lui offre les clés d’un avenir auquel il croyait ne plus pouvoir prétendre.
Notre avis
Ce court texte, guère plus de 70 pages, conte une journée non pas d’Ivan Denissovitch, mais d’un protagoniste dont le nom n’est jamais mentionné et qui se livre ici à la première personne (récit autobiographique, comme le clame le résumé ?). On le suit du lever au coucher en passant par son travail dans un service de l’administration publique, son déjeuner (si l’on veut appeler cette pause dépourvue de repas un déjeuner) et sa visite hebdomadaire du sex-club où il a ses habitudes. Résumé ainsi, et en lisant cette nouvelle, on se surprend à tomber d’accord avec le ressenti que le personnage principal exprime ainsi : « Quelle vie de merde. En même temps, je ne m’en plains pas. Je n’attends rien d’autre de la vie. Comme ça, je ne risque rien. Et, je ne serais jamais déçu. Triste, tout au plus. Seul aussi. Mais, on l’est tous. Parfois, même à deux. Alors, ça ou autre chose. Qu’importe. On a tous sa croix à porter. »
Le texte se lit… étonnamment bien. Il est fluide, sombre à souhait sans pour autant tomber dans le déprimant (une fois de plus, je devrais ajouter : étonnamment), caustique au point d’en devenir grinçant par moments, mais de ce grinçant qui me rappelle combien j’aime parfois lire des textes dont la grande noirceur le dispute à sa profondeur. Bon, pour évacuer tout de suite les choses négatives, je me dois de soulever que ce texte-ci aurait mérité une relecture approfondie. Vous aurez (peut-être) remarqué les virgules en trop après le « et » et le « mais », dans le passage cité. Il y en a moult. De même, je me suis dit à plusieurs reprises que le pronom personnel « leur », contrairement à son cousin, le pronom possessif « leur / leurs », ne prenait jamais de « -s » à la fin, ce qu’il faisait de façon récurrente, dans ce récit. Au moins, l’auteur fait montre d’une belle constance en gardant la même faute tout au long de son écriture. Surtout vers la fin, les erreurs d’inattention et de relecture furtive se font aussi plus nombreuses, ce qui est dommage.
Mais ce bémol n’enlève rien à l’étrange attraction que ce texte a exercée sur moi. Il me rappelle un peu le Comme ils disent d’Aznavour, que l’on aurait revu et remis au goût du jour (l’attraction que j’ai mentionnée n’en devient que plus étonnante encore car j’ai cette chanson en horreur). On a là un homme de 46 ans qui se raconte sans pudeur, sans détours, d’une voix qui oscille constamment entre intensité poético-philosophique et langage parlé, cru, venu des tripes. On suit pensées, monologues intérieurs, vitupérations, commisérations, réminiscences, espoirs et désespoirs, illusions et désillusions, qui sont enfilés sur le cordon de cette journée exhibée tels des perles.
Rien de bien lumineux n’est montré, juste le désenchantement presque fatigué d’un homme, gay et seul, qui sait qu’il vit là le dernier chapitre de sa vie. Il a abandonné tout rêve d’une vie à deux, tout espoir de trouver son âme sœur, et à son âge, il sait même qu’il entame les derniers moments où il pourra trouver un peu de réconfort ne serait-ce que charnel, physique, pendant une de ces rencontres furtives de backroom qu’il affectionne tant. Il dit : « je n’ai donné à voir toutes ces années qu’un corps chosifié, une enveloppe charnelle dépouillée de toute saveur, sans la moindre force vitale permettant de lui donner une âme, un amas de chair qui n’avait même pas le piquant du libertinage. Un corps sans vie comme le sont les branches d’un arbre arrachées à leur tronc. Et, cela personne n’en voulait. Personne ne s’attache jamais à ce qui est mort. »
Je l’ai dit, c’est (assez) sombre, désabusé, mais néanmoins brillant – un diamant noir. Pas forcément triste, plutôt effroyablement, cruellement lucide. Très bien écrit, d’une plume qui, même si les situations dépeintes ne sont pas de celles que j’aurais vécues moi-même, m’ont touché, m’ont ému, m’ont fait réfléchir. C’est qu’à la fin, le protagoniste rentre de sa virée dans le pays chimérique du sexe instantané et constate : « Je suis à nouveau cet homo sapiens qui se contente de coïter, travailler et comater. » Tout est dit, fermez les parenthèses, posez le livre… Et pourtant, il finit en apothéose par exprimer un seul regret concernant sa vie et par révéler la seule, la dernière chose qui lui reste à réaliser, le dernier projet pour lequel il lui faut trouver les ressources de se battre…
Je ne vous en dis pas plus. Le texte est court, mais plus dense que ne le sont parfois des pavés de plusieurs centaines de pages ; il est à la fois intense et léger par endroits ; il apporte matière à réfléchir, à s’interroger, à se révolter peut-être. Pour moi, ce fut, malgré les fautes, une belle, une très belle découverte.
Infos
Auteur : Cédric Ronnoc
Titre : Le dernier chapitre
Publié par : Auto-édité
Publié le : 21 mai 2023
Genre(s) : Tranche de vie, autobiographie, littérature
Pages : 76
Disponible en : Ebook & broché
Lu par : ParisDude
Sensualité : 3 flammes sur 5
Note
4,5 étoiles sur 5
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Je suis désolé de ne pas partager l’intérêt de Dieter pour ce livre que pour ma part j’ai trouvé bien déprimant.
Un récit d’une morosité extrême, dans lequel le narrateur dépeint son quotidien routinier, essentiellement professionnel, et sa solitude profonde, qu’il dit avoir choisie mais qui constitue aussi pour lui une source de souffrance. Cette solitude, surtout affective, ne peut être comblée par les cigarettes, les multiples rencontres sexuelles que fait le narrateur, depuis vingt ans (il dit être âgé de 46 ans) dans une backroom aussi glauque que possible.
Il faut attendre les trois derniers chapitres de ce bref récit (85 pages) pour que la dimension autobiographique prenne un peu de hauteur et apporte aussi une certaine consistance à ce récit au bout du compte bien narcissique. Car ce narrateur ne suscite aucune sympathie particulière : peu de personnes trouvent grâce à ses yeux, son lien avec ses proches n’est qu’effleuré (malgré le dernier chapitre, intéressant mais quelque peu nébuleux), il a la dent bien dure pour ses frères humains, gays ou pas.
L’auteur, lui, a sûrement les capacités pour réaliser un vrai travail d’écriture, mais il ne le fait quasiment pas, se contentant la plupart du temps de reproduire le langage oral de tous les jours, avec un recours systématique à un registre de langue familier et vulgaire. « Quelle vie de merde », écrit-il page 20, et c’est vrai que ce qu’il propose ne fait vraiment pas envie – sauf si l’on est attiré par une certaine veine naturaliste.
Reste l’orthographe, et là, c’est un festival : il y a plus de 100 fautes dans ce récit, ce qui témoigne d’une désinvolture vraiment décomplexée. Le philosophe Alain estimait que « l’orthographe est de respect ; c’est une sorte de politesse. » Hélas …
Chronique bien intéressante sur ce livre qui semble sortir de l’habituel. L’avant dernière citation donne bien le ton désenchanté et montre là une belle écriture, même si, à l’occasion, il se glisse dans l’ensemble du texte quelques erreurs et défauts de ponctuation. J’aime beaucoup « le pays chimérique du sexe instantané » que nous offre notre excellent chroniqueur! (On voit bien là l’écrivain.) Un texte court et intense… à lire donc peut-être?
Je pense qu’il te plairait bien, Dominique!