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Lettres à Anton (de ParisDude)

Synopsis

Cette correspondance, sous forme d’e-mails, avec mon ami gay Anton, vivant à Moscou, en dit plus long sur la terreur vécue dans le pays que n’importe quelle étude historique et est devenue un hommage que je lui rends, d’avoir résisté à cette dictature. Personne ne s’intéresse à l’homophobie d’état de la Russie néofasciste sous Poutine, alors qu’elle est à la base même du système totalitaire, car les LGBT s’opposent au culte de la guerre, de la masculinité toxique, à la violence, à la propagande familiale basée sur la soumission des femmes, à la censure des livres, des journaux, à la criminalisation de l’amour au nom de valeurs religieuses intégristes. 

Notre avis

Ah, quelle bonne surprise ! Moi qui pensais que les romans épistolaires étaient morts car devenus obsolètes – soyons honnêtes, qui écrit encore des lettres, de nos jours ? Dans mon esprit, finis, les échanges à la Marquise de Merteuil, Vicomte de Valmont et autre Madame de Volanges… Les rares missives que nous recevons dans nos boîtes à lettres sont administratives ou commerciales, et même elles se font de plus en plus rares, remplacées par des documents consultables en ligne. À la place de lettres, on s’envoie tout au plus des messages électroniques, des SMS, des WhatsApp, des PM sur Messenger et autre, et enfin… des e-mails (désolé, je n’aime pas le mot courriel). Mais – un roman épistolaire, ne pourrait-il pas se construire avec ses nouveaux moyens de communication ? Oui, tout à fait, pardi !

Échanger des e-mails, tantôt longs, tantôt sous forme de rapide réponse – c’est ce que font Jean-Jacques et Anton. Le premier, « auteur » du présent ouvrage (assembleur et publieur plutôt, si j’ose dire), n’est pas un inconnu pour les amateurs et -trices de ce site (voir mes présentations des Pliures du temps, Revenir, mon amour et Élégies en rose). Il est à la retraite et vit en région parisienne avec son compagnon. Le second, Anton (on devine que c’est un pseudonyme), habite Moscou. Les deux sont gays. On n’apprend pas avec précision ce qui lie ces deux hommes ni comment ils se sont rencontrés, mais on devine une belle amitié (ancienne ?) entre eux. Par bonheur, Anton parle français, ce qui facilite donc l’échange entre les deux hommes (et aussi, soit dit en passant, ma compréhension à moi car mon russe se limite à na sdarovïe et chorosho).

Et ils échangent avec assiduité. Pratiquement tout y passe, en termes de sujet, non seulement la politique intérieure française et russe, la guerre en Ukraine (qu’Anton n’hésite pas une seconde d’appeler par son nom), la situation de plus en plus compliquée pour les personnes LGBTQ+ dans la Russie du nouveau tsar ex-KGB, mais aussi les petits tracas et les petites joies du quotidien, les mémoires, tantôt nostalgiques, tantôt négatives, ainsi que la Culture avec un C majuscule. Romans, films, théâtre, poésie, musique… les deux hommes sont assez mélomanes et partagent un goût prononcé pour les belles lettres. On découvre ainsi deux vies qui se ressemblent en beaucoup de points (les prises de position politiques, la recherche du beau et du vrai) mais qui ont un côté parallèle, tels deux univers que, par bien des aspects, on croirait se situer vraiment dans deux mondes que sépare davantage que les quelques 2 700 km (à vol d’oiseau).

J’avoue que le résumé que l’on découvre de début de cet article (le même que l’on trouve sur les sites marchands où l’on peut acheter ce livre) peut refroidir certain•e•s, voire les empêcher de se plonger dans ce texte. Il faut connaître le côté cash qu’affectionne Jean-Jacques dans ses écrits (quand il perçoit des velléités fascistes, il les appelle par leur nom, sans détour) et son talent certain de présenter des histoires pour ne pas se laisser effrayer. Non, je peux rassurer celles et ceux qui ont en horreur les essais et les traités politiques, le texte présent n’est ni l’un ni l’autre. Oui, l’auteur précise qu’il s’agit d’un « essai épistolaire », mais j’ai le droit de ne pas être d’accord avec ce qualificatif. Ce n’est pas non plus une analyse en profondeur de la guerre en Ukraine, genre débat que l’on pourrait trouver dans une émission sur arte.

J’avoue que je ne sais pas si Jean-Jacques nous présente un réel échange d’e-mails, non plus, ou si ce livre est de la fiction. J’aurais tendance à croire que c’est de vrais mails, mais l’essentiel n’est pas là, de toute façon. L’essentiel est de partager, avec les deux protagonistes, des tranches de leur vie, et de voir que tant de choses (de leur intérieur) les rapprochent tandis que tant d’autres choses (extérieures, surtout) les séparent d’une façon glaçante que nous qui avons vécu les chamboulements des années 90 aurions crue reléguée à jamais au passé. Que nous étions naïfs ! Je suis tout à fait d’accord que le fascisme n’a pas dit son dernier mot, que le serpent relève la tête un peu partout et que ce que nous pensions acquis (l’État de droit, les Droits de l’Homme, la démocratie, les avancées sociales, la fraternité, pour n’en citer que quelques-uns) est à nouveau menacé. Tous ces mots-clés, on nous les jette désormais à la figure comme s’il s’agissait d’injures (droit-de-l’hommistes devient synonyme de faiblard ou de simplet), et les solutions simplistes ont la côte.

Oups, désolé, je ne voulais pas me lancer dans un pamphlet. Mais les cieux s’assombrissent tellement que, parfois, on se surprend à broyer du noir. Du noir comme Anton, prisonnier d’un pays qu’il aime, qu’il adore, qu’il admire, mais dont il sent et sait qu’il le rejette, lui, retraité gay, libre-penseur, esthète, homme paisible, cultivé, polyglotte, critique… J’ai appris beaucoup de choses concrètes sur la vie en Russie, dans ce livre – les petites brimades, les tracasseries, pour des choses aussi innocentes, à nos yeux, qu’un bouquin ou un DVD offerts pour un anniversaire.

Comme à chaque fois, Jean-Jacques Ronou ne déçoit pas. Il m’a encore livré un texte intense, un texte qui ne m’a pas laissé indifférent, un texte qui fait réfléchir. Pas forcément sombre, par ailleurs (je sens qu’un optimiste invétéré et énergique est à l’œuvre), mais qui fait réagir. Recommandé sans hésitation.

Infos

Auteur : Jean-Jacques Ronou
Titre : Lettres à Anton : sur la guerre en Ukraine
Publié par : Éditions Textes Gais
Publié le : 8 décembre 2022
Genre(s) : Essai épistolaire
Pages : 285
Disponible en : Ebook
Lu par : ParisDude
Sensualité : 0 flammes sur 5

Note

4,5 étoiles sur 5

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1 commentaire pour “Lettres à Anton (de ParisDude)”

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