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Le Dîner à Béthanie (de ParisDude)

Synopsis

Matthieu se rêve en Marie depuis son enfance. Ni homosexuel ni schizophrène, il déroute ses parents et ses proches sans que lui-même ne parvienne à s’expliquer ses « absences ». Marie l’obsède, se révèle à lui dans les miroirs, le possède parfois totalement. Épaulé par sa petite amie Marthe, Matthieu se lance dans une quête mystique et sensuelle afin de comprendre qui est son double féminin. Cette enquête troublante autour d’un fantôme mêle les Écritures à la psychanalyse et à la politique, les trois voies que va emprunter, dans un suspense haletant, Matthieu pour identifier son alter ego. Après la thèse initiale de la folie émergent ainsi peu à peu des pistes surnaturelles qui vont décider du destin du héros.

Notre avis

Quel étrange livre que celui-ci ! Longtemps, j’ai hésité si je devais le présenter sur ce site, tant il est incertain que l’on puisse le classer parmi les livres gay : ni par le protagoniste Matthieu ni par la thématique, il ne rentre dans cette catégorie, pour être honnête. Seul un certain flottement, un certain questionnement du personnage principal touche de façon périphérique à la thématique homosexuelle. Puis, je me suis dit que je faisais ce que je voulais, sur mon site, et que si j’avais l’impression de le devoir et à l’auteur, que je côtoie dans le Club littéraire du Marais et qui est d’une aide précieuse pour notre revue L’Autre Rive, et à l’ouvrage, eh bien, il n’y aurait aucune raison pour m’abstenir. Donc, nous voilà.

Le roman démarre par une mémoire d’enfance de ce Matthieu mystérieux, dont le prénom ô combien biblique n’a sûrement pas été choisi au hasard. Aussi longtemps qu’il puisse se rappeler, il sentait en lui la présence d’un alter ego, d’une autre personne prénommée Marie. Je corrige : cette présence n’était pas en lui, elle était lui, ou il était elle. C’étaient des flashs, des instants de savoir intime et pressant, que jamais Matthieu n’a pu ou su s’expliquer, mais des instants tellement réels, tellement vrais qu’ils l’avaient marqué à jamais. Oubliée pendant un moment – il serait plus judicieux de dire : refoulée –, cette expérience refait surface quand Matthieu, jeune adulte et étudiant, rend visite à ses parents, accompagné de sa petite amie Marthe. Les souvenirs reviennent, et la présence, ce savoir si puissant, aussi.

C’est là que Matthieu entame une quête spirituelle, quête métaphysique, quête du sens de tout, épaulé en cela et presque poussé par une Marthe plus fascinée qu’inquiète. Il se tourne vers la religion, qui semble lui donner une première piste : celle de Marie de Béthanie, sœur de Lazare et Marthe (un autre prénom savamment choisi par l’auteur), qui figure dans les quatre évangiles ; une femme qui a ouvertement aimé Jésus. Dans sa soif de comprendre, il rencontre ainsi le père Jean, un prêtre parisien, auprès duquel il espère trouver des réponses à ses questions (le prêtre lui dit d’ailleurs : « Vous vous appelez Matthieu. C’est le premier des évangélistes, celui qui raconte l’histoire. Je m’appelle Jean, le dernier. Vous êtes les données du problème et je suis sa conclusion. »). Fait troublant, Matthieu n’arrive pas à savoir si ce prêtre accepte de le guider spirituellement parce qu’il peut et veut vraiment lui apporter des lumières, ou si, étant gay, l’homme est seulement attiré par sa personne et par son corps de jeune et attrayant étudiant. Ce dilemme entraîne de nouvelles questions sur sa propre sexualité, qui lui avait toujours semblé si claire et non négociable mais qui, étrangement, pourrait peut-être ne pas l’être tant. Est-ce le désir ou seulement sa quête obsédante qui le poussent vers ce prêtre ?

Puis, il finit par se lasser de la religion. Il essaie une approche psychanalytique. Il se jette dans des agissements politiques clandestins. Il se démène, se débat, se démultiplie dans une course quasi effrénée, une fuite en avant, perdant pied et perdant les repères et les personnes qui l’entouraient en cours de route. Mais la réponse lui échappe encore et encore.

Je ne puis vous révéler jusqu’où Matthieu va aller ni ce qu’il va découvrir à la fin, car ce serait atrocement spoiler le livre si vous me permettez cet anglicisme. Ce n’est pas tant la réponse finale, de toute façon, qui importe ; c’est plutôt le cheminement de ce jeune homme. Il cherche le sens de sa vie, la raison pour laquelle il se trouve sur terre. Et aucune des réponses qu’il cueille, chemin faisant, ne le satisfait entièrement. Il sent que ce ne sont que des bribes, des morceaux, des miettes de réponse, non pas la Réponse à Tout que, quelque part, nous cherchons peut-être tous. Il passe par des rencontres, des mots, des expériences, des actions, mais n’a pas l’impression d’approcher de son objectif pour autant.

Matthieu, qui se livre à la première personne et semble nous ouvrir ses pensées, ses mémoires, ses sensations et son cœur, reste énigmatique du début à la fin. Plus il nous parle, moins il révèle. C’est là une des forces de ce livre. On a le sentiment d’approcher de près ce personnage, mais il garde un voile pudique, défend sa part de mystère sans ne rien laisser paraître, comme s’il voulait nous signifier que plus on croit connaître et comprendre quelqu’un, moins on y est, en réalité. Chacun est une île, et il est impossible de mettre les pieds sur l’île même la plus proche. Il est vrai que j’avais l’impression de comprendre Matthieu, de savoir pourquoi il faisait ce qu’il faisait, mais finalement, j’ai dû me rendre à l’évidence que non. Ce n’est pas que ces actes aient été loufoques, dépourvus de logique ou de raison. Mais je n’arriverais pas à mettre le doigt sur cette logique, sur cette raison, puisque celles-ci lui étaient parfaitement propres et découlaient de son vécu, non du mien. Et tous les mots du monde ne suffiraient pas pour faire le pont entre ce vécu et le mien. D’ailleurs, comme vous pouvez le constater, je parle ici de Matthieu non pas comme d’un personnage de fiction, mais comme d’une réelle personne… Oui, je l’ai dit et je le répète – c’est une des forces de ce bouquin que d’avoir fait disparaître la frontière entre réel et fictionnel, dans ma tête, et de m’avoir fait penser à Matthieu comme à un être en chair et en os.

L’autre force ? C’est que l’écriture, le style étaient à la hauteur du défi que Marc Hernu s’est lancé en écrivant cet ouvrage. Calme, clair, sans fioritures baroques ni hyperboles, le texte m’a pris par la main, si j’ose dire, et m’a guidé à travers cette histoire unique, celle d’une quête d’une urgence hors du commun. L’intrigue semble linéaire, mais elle surprend par certaines tournures inattendues (quoique jamais tirées par les cheveux) et une fin… disons, j’escomptais une fin de ce genre, dans le sens le plus large et le plus vague, mais pas du tout cette fin-là, en particulier. Elle fut la surprise du chef (j’aime bien qu’un auteur me surprenne, dans le bon sens du terme, comme ce fut le cas ici), et toute cette dernière partie du livre me faisait penser, excusez du peu, à Camus et son Étranger – mais là, j’en ai déjà dit trop.

Histoire captivante, protagoniste fascinant, une multitude de questions, à la fin, et pas tellement de réponses tangibles… de quoi faire réfléchir. Quoi de plus beau, quand on referme un livre, que cela. Donc, livre gay ? Peut-être (assez sûrement) pas. Livre queer (dans le sens premier d’étrange, différent, non dans la norme) ? Certainement. Et, tout aussi certainement, un livre dont je recommande la lecture.

 

Infos

Auteur : Marc Hernu
Titre :
Le Dîner à Béthanie
Publié par :
Éditions de la Belle Cordière
Publié le :
08 janvier 2021
Genre(s) :
Quête de soi
Pages :
209
Disponible en : Broché
Lu par : 
ParisDude

Note

5 étoiles sur 5

Où acheter

  • Sur Amazon
  • À la Fnac (mais le stock semble épuisé – peut-être qu’une demande importante pourrait assurer la réimpression de l’ouvrage ?)

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