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Mémoires d’Hadrien (de ParisDude)

Synopsis

Cette œuvre, qui est à la fois roman, histoire, poésie, a été saluée par la critique française et mondiale comme un événement littéraire. En imaginant les Mémoires d’un grand empereur romain, l’auteur a voulu « refaire du dedans ce que les archéologues du XIXe siècle ont fait du dehors ». Jugeant sans complaisance sa vie d’homme et son œuvre politique, Hadrien n’ignore pas que Rome, malgré sa grandeur, finira un jour par périr, mais son réalisme romain et son humanisme hérité des Grecs lui font sentir l’importance de penser et de servir jusqu’au bout.

« … Je me sentais responsable de la beauté du monde », dit ce héros dont les problèmes sont ceux de l’homme de tous les temps : les dangers mortels qui du dedans et du dehors confrontent les civilisations, la quête d’un accord harmonieux entre le bonheur et la « discipline auguste », entre l’intelligence et la volonté.

Notre avis

En toute honnêteté, voici un aveu : j’ai acheté ce livre en 2018 (ça date, donc !), pour une raison que j’ai oubliée entre-temps. Je l’ai ouvert, avide et pressé de découvrir son contenu. Et mon Dieu, avec quelle lenteur j’ai avancé ! Quelque part, rien dans ces premières pages ne m’a attiré, rien ne m’a parlé, j’ai traîné de paragraphe en paragraphe, les trouvant plus incompréhensibles, plus obscurs les uns que les autres. En un mot, ça ne me disait rien de continuer, et j’ai abandonné vers les 7% environ. Je n’étais pas prêt, ce n’était pas le moment.

Par le plus pur des hasards, cette semaine, j’ai regardé une émission sur la chaîne Histoire qui parlait de l’empereur Hadrien. Un documentaire fort intéressant, qui m’a rappelé ma première tentative infructueuse de lire ce chef d’œuvre d’une des plus grandes écrivaines françaises. J’ai donc fouillé sur mon Kindle pour retrouver le livre ; je l’ai rouvert, et j’ai repris la lecture à la page 1. Je ne sais pas ce qui a changé, ma prédisposition, mon état mental, l’époque qui est devenue si étrange et par moments presque étouffante… en tout cas, j’ai décidé de persévérer, cette fois-ci, et à ma grande surprise, je me suis rendu compte, au bout de quelques pages seulement, que je n’avais pas besoin de persévérance. Là où les phrases me paraissaient sèches et obscures, la dernière fois, elles étaient devenues florissantes et illuminantes ; là où je ne voyais que passages inutiles de philosophisteries inintéressantes, je me régalais cette fois-ci, trouvant ces mêmes passages pleins de perspicacité, de justesse, d’intuition même – pleins d’humanité.

Pour l’intrigue, ce livre, comme le titre l’indique, retrace la vie d’Hadrien (76-138), qui fut empereur de l’empire romain de l’an 117 jusqu’à sa mort. On l’appelle souvent « l’empereur voyageur » car il a visité pratiquement tous les coins et recoins de ce vaste empire qui, pendant un bref laps de temps, sous son prédécesseur et père adoptif Trajan, connut sa plus grande expansion géographique avec la brève semi-victoire contre les Parthes en Mésopotamie (Hadrien rétrocéda ces territoires, aussitôt monté sur le trône, en négociant une paix durable avec ces anciens ennemis). Mais en fait, le roman n’est pas tellement une narration linéaire classique, mais plutôt une sorte de monologue, déguisé sous l’aspect d’une lettre d’instructions qu’Hadrien serait en train de rédiger, à la fin de sa vie, pour l’un des sur-successeurs qu’il a déjà désignés de son vivant, à savoir Marc Aurèle.

C’est peut-être la raison pour laquelle j’avais trouvé le début quelque peu aride lors de ma première tentative. En fait, le roman débute pour une longue liste de conseils tantôt pratiques – sur la nourriture, les exercices physiques, l’amour, le pouvoir –, tantôt prenant les traits d’un véritable traité philosophique. Mais que de pépites n’ai-je trouvé dedans, cette fois-ci ! Pas forcément pour mon propre usage – je ne pense pas être appelé à devenir empereur, un jour – mais pour la grande sagesse et le ton souvent fatigué, presque désabusé d’un homme qui en a vu tant et tant dans sa vie. S’ensuivent des chapitres biographiques à proprement parler, mais toujours racontés avec une certaine distance, un certain humour pince-sans-rire, une certaine autodérision, derrière laquelle l’on devine un gouvernant penseur, esthète, qui cherche toujours un chemin entre les différents extrêmes, guerre et paix, excès et frugalité, laisser-aller et discipline exacerbée.

Dès le départ, le récit mentionne ouvertement la personne qui aura le plus compté dans la vie de cet empereur unique en son genre : le beau et jeune Antinoüs, qu’Hadrien rencontre lorsqu’il est dans sa trente-cinquième ou trente-sixième année alors que le jeune homme n’a que seize ans. Il devient rapidement l’amant et le favori de l’empereur, l’accompagnant dans tous ces voyages. D’ailleurs, leur histoire d’amour sera de très courte durée puisqu’Antinoüs se noie dans le Nile âgé d’à peine vingt ans. Mais, à n’en pas douter, c’était l’amour de sa vie ; Hadrien fondera une ville à son honneur et le transformera en dieu, un dieu dont la vénération populaire survivra largement à la déification d’Hadrien lui-même.

Même si les détails charnels de cette liaison sont couverts par la toge épaisse, si j’ose dire, de la bienséance de l’époque à laquelle ce livre a été publié (1951), les sentiments, eux, sont bien là et recouverts d’aucun voile pudibond. Marguerite Yourcenar a dû été une des rares personnes à exprimer cela ainsi, dans les années 50 : l’empereur aime son jeune éphèbe tout comme ce jeune éphèbe aime son aîné et empereur, d’un amour pur et fort et passionnel qui, selon l’auteure, serait aussi la cause de la noyade du jeune homme, qui, suggère-t-elle, se serait suicidé, connaissant le goût prononcé de son amant pour les jeunes garçons, se sentant vieillir et risquant ainsi de devoir céder sa place un jour, ne laissant dans le cœur de son bien-aimé Hadrien qu’amertume et regrets. Pour éviter cela, il se laisse mourir, lui qui était connu pour être un excellent nageur.

Pour résumer cette deuxième tentative, heureuse et fructueuse de ma part, de lire ce roman, j’ai a-do-ré. C’est un livre riche et enrichissant, d’une écriture fluide qui force l’admiration. Bien sûr, si vous êtes à la recherche du rythme palpitant, du frisson facile, des course-poursuites, de l’intrigue haletante où un retournement de situation chasse un retournement de situation, passez votre chemin. Ici, le rythme est celui, lent et mesuré, d’un vieil homme mourant qui s’adonne à l’auto-inspection minutieuse ; le frisson, celui de la beauté du langage et de la profondeur des réflexions ; la poursuite, celle de la compréhension de soi et de la vie qui s’apprête à s’achever ; les retournements, ceux des mots et des idées, qui sont remués comme on remue des galets dans un torrent pour dénicher, en dessous, les ingrédients d’un dernier souper. De même, si la moindre inversion dans une phrase provoque en vous des sueurs froides, n’ouvrez pas ce livre, car il contient tout ce que la syntaxe et la grammaire françaises ont de plus beau, de plus noble. Surtout s’en dégage une merveilleuse poésie, à quasiment chaque phrase, une mélodie du langage, un phrasé de toute splendeur. Par moments, on dirait un poème en prose.

Enfin, si vous avez peur d’ouvrir un dictionnaire ou une encyclopédie mais voulez tout de même attaquer ce roman, attendez-vous à des surprises, car les voyages de l’empereur vous emmèneront dans des contrées lointaines et exotiques – tellement exotiques que l’on ne les retrouve plus guère sur les cartes d’aujourd’hui. Moi, j’ai laissé mon portable ouvert sur Wikipédia pour m’y retrouver entre Dacie, Thrace, Bithynie, Propontide, Pont Euxin, et j’en passe et des meilleures… Mais de ces endroits, de ces mots, qui raviront en revanche tout philologue classique, se dégage, justement, le parfum de cette époque, que Yourcenar, en grande érudite qui a préparé ce roman pendant des décennies, agrémente de mille autres petits détails parlants. Un très, très beau livre – je suis heureux et fier d’avoir poussé ma curiosité jusqu’à surmonter ma première réticence. Recommandé sans modération aucune.

Infos

Auteur : Marguerite Yourcenar
Titre : Mémoires d’Hadrien
Publié par : Plon (édition originale) | Éditions Gallimard (cette édition)
Publié le : 1951 (édition originale) | 1er janvier 2015 (cette édition)
Genre(s) : Littérature, mémoires, roman historique, biographie
Pages : 352
Lu par : ParisDude
Sensualité : 0 flammes sur 5

Note

5 étoiles sur 5

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