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Piège (de ParisDude)

MÀJ 24/11/2022 | Ce livre vient d’être réédité sous un nouveau titre (voir plus bas)!

Synopsis

— Parce que je veux que tu couches avec lui. Prends-moi au sérieux parce que je vais mourir, répondit-elle tranquillement. Et avant de mourir, je veux faire ce que je désire le plus. Et je désire ça. Je veux que tu fasses l’amour avec Philippe pour moi. Tu vas le faire, pour moi, parce que tu m’aimes et parce que tu ne peux rien me refuser…

Julia, mariée, violoniste, apprend qu’elle n’a plus que quelques semaines à vivre. Or depuis des années, elle aime en secret le chanteur avec lequel elle travaille. Mais ce chanteur n’aime que les hommes…

Elle demande à son mari de faire pour elle ce qu’elle n’a jamais pu faire.

Notre avis

Avant toute chose, je tiens à dire ceci : si vous vous sentez un peu décontenancé(e), mal à l’aise, peu attiré(e), voire carrément dissuadé(e) par le synopsis de ce roman, eh bien, lisez-le quand même. Oui, lisez le petit bijou qu’est Piège. J’insiste là-dessus car moi-même, j’ai vu des annonces pour ce livre dans divers groupes Facebook cet été, à sa sortie, et j’ajouterais même que l’auteure nous avait contactés… et que je n’avais pas « senti » ce livre. Ça arrive. En fait, l’intrigue esquissée dans le résumé me paraissait trop lugubre – lire l’histoire d’une femme à la mort annoncée, vous pensez donc, surtout à l’époque actuelle avec son lot de frustrations, inquiétudes, pandémie, confinements, interdictions, futurs flous, ça ne m’a pas attiré. Puis, je me suis aussi dit que l’exercice serait, sincèrement, trop casse-cou. J’imaginais avec effroi tout ce qui pouvait me déplaire dans ce roman, tout ce qui pouvait être raté, et à ma honte, je n’ai pas répondu à Christa comme j’aurais dû, ne serait-ce que pour décliner son offre en toute politesse (désole, je vous offre mes plus plates excuses, Christa). Heureusement, soit l’auteure ne se rappelait plus nous avoir contactés, soit elle n’est pas rancunière. Elle nous a donc écrits à nouveau, après la parution de notre article sur la cérémonie du Prix du roman gay 2020, et cette fois-ci, je n’arrivais plus à me trouver d’excuses. J’ai donc reçu l’ouvrage, je l’ai ouvert avec toujours une bonne dose de réticence (pour les mêmes raisons), et… je l’ai dévoré quasiment d’une seule traite. Et qu’en dire maintenant sinon du bien ! Une fois de plus, le jury du Prix du roman gay 2020 a bien choisi cette lauréate, à qui a été décernée le prix du livre numérique. Prix amplement mérité car le roman m’a vraiment bouleversé. Positivement.

Ceci dit en guise de préambule, parlons maintenant intrigue. Effectivement, le résumé donne de façon succincte la trame de ce livre. Julia, jeune quarantenaire, violoniste douée, femme de caractère, joue dans un ensemble de renom qui s’est spécialisé dans la musique Renaissance et baroque. Ils parcourent le monde, de concert en concert, et se produisent très souvent à la Maison de la radio à Paris. Julia est mariée à Mohan da Ponte, un très bel homme, doux et intentionné, quoique porté à la dépression et aux fulgurances émotionnelles, de père italien et mère indienne ; il travaille comme chercheur au CNRS. Les deux ont un fils de six ans, Fabio. L’on apprend dans les premières pages que Julia a un cancer incurable au dernier stade et qu’il ne lui reste que six semaines, deux mois à vivre. Julia passe par plusieurs stades, comme on peut aisément imaginer, tantôt rageuse, tantôt désespérée, tantôt dans une calme acceptation, avec beaucoup de questionnements. Et finalement, la question que nous nous poserions peut-être tous également, elle se la pose à un moment : quelle serait la chose qu’elle brûle d’envie de vivre avant qu’il ne soit trop tard ? Quelle est l’expérience dont elle a toujours rêvé sans vraiment oser se l’avouer en toute conscience ? À ce moment-là, elle se rend compte qu’elle a toujours été amoureuse du grand contre-ténor qui donne à son ensemble musical toute sa renommée : Philippe Eisenstein, beau blond à la voix presque surnaturelle. En fait, Julia sait qu’elle l’aime en secret depuis qu’elle le connaît, tout comme elle sait à quel point son fantasme le plus intime est voué à l’échec, car Philippe n’aime que les hommes.

C’est là qu’un plan étrange prend forme dans sa tête. Elle n’a plus rien à perdre. Alors, si elle, elle ne saura jamais personnellement ce que c’est que de faire l’amour avec Philippe – son plus grand fantasme –, elle veut au moins en avoir l’expérience par personne interposée. Elle veut voir son mari, qu’elle aime aussi, à sa manière, faire l’amour à Philippe. Elle sait son mari plutôt faible, lui qui l’aime à en vouloir mourir à sa place, et elle pense pouvoir le manipuler sans problème. Mohan n’a jamais rencontré ses collègues musiciens, il n’a jamais fait la connaissance de Philippe – et bien, elle les présente les uns aux autres et découvre que Philippe se montre d’emblée intrigué par la beauté exotique et la douceur de Mohan. Étape suivante, Julia invite tous ses camarades de musique à passer le week-end de Pâques avec elle et son mari, dans la maison de ses beaux-parents dans le Lot. Puis, elle passe à l’attaque auprès de son mari, avec un chantage émotionnel à la clé auquel elle donne toute la force d’une femme mourante et souffrant le martyre. Quelques jours à vivre, pas plus – Mohan cédera, pense-t-elle. Or, celui-ci, ahuri par son stratagème, lui résiste. Il n’est pas une simple marionnette, il a son propre libre arbitre, et l’amour désespéré qu’il ressent pour sa femme mourante lui donne la force de dire non. Mais… c’était sans compter avec un Philippe Eisenstein en chair et on os, auquel Mohan n’a pensé qu’abstraitement jusque-là. Quand ils se retrouvent dans la maison familiale, entourés des autres collègues de Julia, Mohan se rend compte que sa résistance morale pourrait ne pas être suffisante. L’idée insidieuse de sa femme fait son chemin. Mohan découvre que ce Philippe réel l’intrigue plus qu’il n’aurait cru possible ; de même, par ses agissements gauches, embarrassés, il finit par séduire complètement le beau contre-ténor. Comme dans une tragédie grecque où les dés sont jetés dès le départ (souvent pipés par les Dieux qui gouvernent les destins des humains, par ailleurs), un inévitable triangle amoureux qui risque de bouleverser tout se met en place instamment entre Mohan, Philippe et Julia, le temps d’un week-end prolongé à la campagne. Néanmoins, les choses ne se passent pas comme Julia les a prévues : « Ils sont trois […] à savoir et – est-ce une illusion – elle ressent presque physiquement le lien qui les unit à cet instant, cette connivence invisible mais réelle au milieu des autres qui ne savent pas. D’elle à eux, d’eux à elle… un lien se tisse entre leurs yeux qui se parlent, une sorte de réseau dense, secret […] ils se regardent au-dessus de toutes ces choses et comme une prière à trois dans ce jour insolent de vie, de beauté, une silencieuse prière d’athées qui n’ont de richesse que le présent, d’horizon que la décomposition de leur chair… »

On l’aura compris en lisant mon préambule : j’ai entamé la lecture de ce livre avec une énorme appréhension. J’avais la sensation de savoir où l’auteure voulait en venir, à quelle fin elle voulait m’emmener, fin que je ne voulais absolument pas atteindre car il y avait un côté trop construit, trop – presque malsain, en mon sens. Bien sûr, maintenant je peux dire que j’étais bête et ignorant, car après coup, l’on est toujours plus intelligent, n’est-ce pas ? En fait, Christa m’a gentiment pris par la main et m’a fait rentrer dans son histoire, dans son jeu, et m’a fait suivre son cheminement, et je me suis finalement laissé faire. Mon appréhension tombait telle des feuilles de chêne sous les assauts des vents de novembre au fur et à mesure que j’avançais dans ma lecture. C’est que rien, dans ce roman, n’est lugubre, comme j’ai craint au début. Il n’y a point de malaise, car point de psychologismes de pacotille. La solidité de l’intrigue m’a tout de suite convaincu et piégé, si j’ose dire. Les stridences, les retournements de situation par trop voyants étaient absents. Non, Christa, tranquillement, calmement, avec une simplicité qui force l’admiration, m’a fait suivre son histoire, m’a fait tourner les pages en retenant mon souffle (je n’ai mis que deux soirées pour dévorer le récit tellement j’étais happé par l’histoire).

Par ailleurs, quand je dis « simplicité », je ne veux pas dire écriture simpliste ; je devrais plutôt dire que l’histoire se déroule avec beaucoup de naturel. Christa sait écrire, elle écrit d’ailleurs sacrément bien, avec des passages d’une poésie troublante, mais jamais avec pesanteur. Voyez par exemple cette phrase légère où elle décrit une soirée de printemps dans le Lot où « […] l’air, la lumière vibraient d’un avant-goût d’été comme si la nature voulait se dépêcher de vivre […] »). Ce livre est, chose la plus surprenante tant l’un des sujets principaux est lourd – la mort – lumineux, tout simplement. Par un tour de passe-passe très efficace, le lecteur/la lectrice suit l’intrigue en la découvrant du point de vue de Julia, Mohan et Philippe, qui la racontent à tour de rôle. Les trois personnages ont leur côté sympathique, on peut s’attacher à eux, on peut même s’identifier facilement à eux ; puis, ils ont leur zones d’ombre aussi. On accompagne Julia à ses rendez-vous avec le médecin qui suit sa maladie, on découvre ses pensées les plus intimes ; on voit Mohan poussé dans ses derniers retranchements, abandonné à ses questionnements, face à un trouble émotionnel qu’il n’avait pas pu prévoir ; on suit Philippe dans sa vie somme toute assez solitaire, assez loin de l’image que tous les autres se font de lui. Julia voudrait que les deux autres soient des figurines jouant leur rôle dans ses derniers projets, mais ils s’avèrent être juste humains à part entière, avec leur propre volonté, leurs propres idées, leurs propres projets. Et chose la plus imprévisible dans nos vies à nous tous, l’amour intervient là où l’on ne l’attend pas du tout.

C’était un livre vraiment fulgurant de beauté, touchant et beau, et tellement bien écrit. Un livre qui ne parle pas seulement de la mort d’une façon que me l’a quasiment rendue tangible (et avec certains passages, je l’avoue, qui m’ont fait monter les larmes aux yeux, sans que ceux-ci aient été « sentimentalistes »), mais qui parle surtout de la vie. La vie, le désir, l’amour dans tout ce qu’il a de splendide et de salvateur. Oui, je réitère ma recommandation du début : si le synopsis ne vous dit rien qui vaille, oubliez-le, passez outre. Achetez ce livre, lisez-le, laissez-vous entraîner par la force des mots de cette auteure, dont j’espère lire d’autres ouvrages très vite. Christa – un nom de romancière à retenir.

Infos (17/11/2020)

Auteur : Christa
Titre : Piège
Publié par : Éditions Textes Gais
Publié le : 18 juillet 2020
Genre(s) : Littérature, romance, mort
Pages : 212
Lu par : ParisDude
Sensualité : 4 flammes sur 5

Infos (MÀJ 24/11/2022)

Auteur : Christel Bosquart
Titre : Doux Piège
Publié par : Champs-Élysées Danville
Réédité le : 17 novembre 2022
Genre(s) : Littérature, romance, mort
Pages : 250
Lu par : ParisDude
Sensualité : 4 flammes sur 5

Note

5 étoiles sur 5

Où acheter (MÀJ 24/11/2022)

L’auteur nous a fourni un exemplaire gratuit de Piège pour que nous puissions vous livrer une critique honnête et sincère.

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