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Vers le monde bleu (de ParisDude)

Synopsis

Début des années 1990. Un jeune Français est depuis toujours attiré par certaines contrées de l’hémisphère austral, mais son esprit trop raisonnable l’empêche de s’y aventurer. Puis, les circonstances font qu’il s’embarque pour les antipodes de ses destinations rêvées. Un monde peuplé de figures du passé et de peuples anéantis prend alors forme sous ses yeux, tandis que trois hommes lui montrent le chemin, doublant le périple géographique d’une initiation amoureuse.

Un roman aux descriptions généreuses, par lesquelles l’auteur partage ses passions pour l’ethnologie et l’histoire. Une invitation au voyage et à la découverte.

Notre avis

Quelle ravissante histoire, qui me transporta dans ces contrées froides et balayées par les vents que sont les îles constituant la collectivité d’outre-mer française Saint-Pierre-et-Miquelon, située au sud de Terre-Neuve. Ce fut aussi une introduction ethno-historique plus que fascinante aux peuples qui vivaient sur ces terres jadis et, en partie, y vivent encore, notamment les Indiens Beothuk et Mi’kmaq.

L’on suit le narrateur, un jeune prof, gay mais plutôt dans le placard (davantage par discrétion et manque d’opportunités que par honte), qui se passionne depuis toujours pour le grand Sud (plus c’est près de l’Antarctique, plus ça le botte) et pour les peuplades autochtones, surtout celles désormais disparues. Il n’arrive pas trop à se l’expliquer, mais son plus grand rêve est d’aller à la rencontre des derniers survivants, si tant est qu’il y en ait, et de fouler ces rives lointaines. Bon élève, issu d’une famille de classe moyenne sans grande fortune, très terre-à-terre, il voudrait bien faire des études d’ethnologie. Mais son caractère cartésien l’en dissuade – il ne voit pas trop de débouchées à ce plan de carrière. Il se rabat donc sur la géographie et l’histoire. Diplôme en poche, il se fait embaucher sans problème par l’Éducation nationale et occupe son premier poste dans une petite ville de l’Est. Dès qu’il le peut, il dépose sa demande de mutation en sélectionnant des destinations qui le rapprochent le plus possible de son rêve : la Nouvelle-Calédonie et, après de tortueuses ratiocinations, la Guyane.

Ce que l’on lui propose est un poste à l’extrême opposé, bien plus près de l’Arctique que de son antipode tant fantasmé par le jeune homme : justement, Saint-Pierre-et-Miquelon. N’étant plus à une torsion de logique près, il accepte en se disant que, partir pour partir, le saut ultime sera plus facile à faire, psychologiquement parlant, que depuis la métropole. Une fois arrivé sur place, il fait la connaissance de son collègue Jacques, prof de sport, qui en une seule conversation réussit à vaincre le penchant du jeune homme pour la solitude. Il l’attire dans le filet de ses propres lubies, qui tournent autour d’un sujet auquel notre narrateur est bien sensible, à savoir les peuples perdus locaux, surtout les Indiens Beothuk et l’histoire de sa dernière survivante, morte au XIXe siècle à Terre-Neuve. Surprise encore plus grande pour notre prof d’histoire-géo : Jacques, quoique marié, le séduit, ils deviennent amants, ils tombent même éperdument amoureux l’un de l’autre. Mais c’est là que l’histoire prend une tournure d’abord tragique, puis romantique à souhait…

J’ai été immédiatement happé par ce récit contant la vie d’un « aventurier en mocassins à glands, effrayé par ses propres ombres », comme le narrateur, qui parle à la première personne, s’auto-décrit. C’est le deuxième roman de Guy Bordin que j’ai la chance de découvrir (après L’amant fantasmatique), et je n’ai pas été déçu, une fois de plus. Avec lui, tout ce je sais, c’est que je ne sais jamais ce qui m’attend, je ne devine pas les tournants, pas même les tenants et aboutissants. Tout a l’air neuf, frais, inattendu. Le personnage principal est touchant par son manque d’assurance, ses questionnements, sa soif de rationalité même dans les domaines a priori les plus irrationnels (les émotions, les sentiments, les rêves). On connaît son caractère moins par ce qu’il dit sur lui-même (il reste assez pudique) que par la façon de laquelle il amène ses petites touches personnelles. Il vit, il prend forme, couleur et chair par sa belle prose claire, quelque peu désuète (joliment désuète, je dois dire), mais toujours directe, sans fioritures baroques.

C’est donc par le bout de mon attirance pour les belles phrases que j’ai été tiré dans cette narration, elle aussi claire et directe. Il n’y avait aucune longueur, pas un mot de trop, pas un passage superflu. Je me suis laissé entraîner, ballotter, charmer par une plume de maître, je dois le reconnaître. Que ça fait du bien de voir autant de traitement respectueux, amoureux de cette belle langue qu’est le français ! Tout était en douceur, en discrétion, et paragraphe après paragraphe, la vie de ce narrateur a pris forme. C’était touchant de suivre ce jeune homme qui faisait quand même un peu « vieux garçon » et qui éclot quand il découvre la beauté de l’amour, les délices de la chair, l’intimité de passer du temps avec un être chéri.

Après ces louanges écrites au superlatif, vous ne serez donc pas surpris si je vous exhorte à vous procurer ce petit bijou, que je recommande vivement. C’est différent, et c’est du coup très rafraîchissant.

Infos

Auteur : Guy Bordin
Titre : 
Vers le monde bleu
Publié par :
 Les editions de la Trémie
Publié le : 
23 novembre 2022
Genre(s) : 
Littérature
Pages : 
170
Disponible en : Broché & ebook
Lu par : ParisDude
Sensualité : 2 flammes sur 5

Note

5 étoiles sur 5

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L’auteur

Guy Bordin est ethnologue et réalisateur. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur le monde inuit. Avec Renaud De Putter, il a réalisé huit films, aux limites entre documentaire et fiction.

Il a publié son premier roman, L’amant fantasmatique, en 2020 (voir notre chronique).

Il vit entre Bruxelles et le Portugal.

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