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« J’ai toujours été une conteuse d’histoires » – Interview avec Josh Lanyon (1)

Bonne nouvelle ! Il y a quelques jours, j’ai envoyé un mail à Josh Lanyon lui demandant si elle accepterait d’être interviewée sur Skype. Elle a immédiatement répondu qu’elle serait ravie. Je suis maintenant en train de tripoter la chemise que j’ai mise pour l’occasion. Je sais que je ne vais pas prendre le thé avec la reine d’Angleterre, mais rigolez toujours – à mes yeux, Josh fait un peu partie de la royauté des auteures de polars gay, alors j’ai cru devoir me mettre autre chose qu’un simple T-shirt. Je me rends compte que j’aurais pu – que j’aurais dû – repasser cette chemise, mais bon, c’est trop tard maintenant ; j’ai déjà appuyé sur le bouton d’appel. Lorsque la connexion est établie, je vois un paysage ensoleillé, et la femme, dont je ne connais que les livres et la photo sur laquelle vous pouvez tomber sur Internet, est assise près d’une piscine scintillante. Un sourire chaleureux se dessine sur son visage, et elle tient ce qui ressemble étrangement à un verre d’Irish Coffee dans ses mains. C’est d’ailleurs un Irish Coffee, comme elle l’admet dans un aparté lors de notre entretien. Une petite brise remue des carillons que je peux distinguer à l’arrière-plan. Leur doux tintement accompagnera agréablement toute notre conversation.

ParisDude (tout sourire) : Bonjour, Josh. Quelle heureuse surprise de pouvoir te voir en chair et en os – enfin, si je puis dire, puisque notre rendez-vous se fait quand même par cams interposées.

Josh Lanyon (me fait coucou de la main) : Bonjour, Dieter ! Ça va ? (En français dans le texte, s’il vous plaît !)

PD (surpris) : Ça va, merci. Tu parles français ?

JL (en gloussant) : Oh, un peu. A very little un peu. C’est l’une de mes ambitions. Apprendre le français. Mais je m’entraîne déjà pour le Salon du livre de l’année prochaine. Je suis désolée d’avoir pris tout ce temps pour cet entretien, mais nous voilà enfin. Et (rire), s’il te plaît, faisons semblant que je puisse être cohérent alors je suis dans la dernière ligne droite pour mon nouveau livre.

PD (hoche la tête) : Je ne peux même pas imaginer à quel point tu dois être occupée en ce moment. Et je suis d’autant plus heureux que tu aies trouvé un créneau dans ton emploi du temps pour notre petite discussion. (Pensif). Tu sais que, pendant un moment, tu as été un mystère pour moi, principalement parce que ta biographie sur amazon.fr te présente… comme un mec ! Ils t’appellent même John à un moment…

JL (se désigne du pouce en riant) : Eh bien, je m’identifie comme une femme, mais je soupçonne mes éditeurs de faire très attention pour n’offenser personne. Ce que j’apprécie, bien sûr. Quant à John… ? (Avec un clin d’oeil). Eh bien, je suis sûr que John l’apprécie aussi.

PD : Alors, je suppose que Josh Lanyon est juste un nom de plume. Comment l’as-tu trouvé, ce nom ?

Couverture de « The Charioteer »

JL : Pour ce qui est de Josh, c’est assez personnel, donc je n’entrerai pas dans les détails, mais Lanyon est tiré du roman classique de Mary Renault, The Charioteer. Je l’ai lu au collège, et dire que cela a changé ma vie ne serait pas exagéré. Et c’est ce que nous espérons toujours en tant qu’écrivains, n’est-ce pas ? Que quelque chose que nous écrivons puisse réellement changer la vie de quelqu’un. Ou du moins faire les gens réfléchir un peu.

PD : Je ne peux qu’être d’accord avec toi. Dis-moi, Josh… Je suppose que tu vis de tes livres, qui ont beaucoup de succès. Mais si tu n’écrivais pas, que ferais-tu aujourd’hui ? Je veux dire, quel métier exercerais-tu ?

JL : J’enseignerais probablement quelque part dans un petit collège privé. Oh ! Et je serais éventuellement en train de résoudre quelques meurtres occasionnels en passant ! (Elle glousse.)

Je dois dire que je suis très soulagé que Josh soit si facile à aborder. J’ai tendance à être timide et taciturne lors d’une première rencontre, mais elle me met tout simplement à l’aise, comme si nous nous connaissions depuis des temps immémoriaux.

PD : Je suis curieux – qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ?

JL : Je suis cette chose étrange et rare : une écrivaine née. Et j’ai eu beaucoup de chance car j’ai toujours eu des professeurs, de la seconde jusqu’à la fac, qui ont encouragé et nourri mon envie d’écrire. En quatrième année, j’étais certaine que je serais Une Écrivaine. (On peut entendre les majuscules à Une et Écrivaine, ici.)

PD : Je me demande comment la petite Joshy était… un tourbillon ? Une petite fille mignonne, à la Shirley Temple ? Ou, comme moi, un rat de bibliothèque calme et timide ?

JL : Une espèce de petite cruche blonde et maigre avec – c’est assez embarrassant maintenant – des amis imaginaires. J’étais un mélange de fille timide et autoritaire – et, au sein de ma famille, je suis légendaire pour avoir fréquemment entraîné ma petite soeur à faire des bétises.

PD (rigole) : Ha ! Plutôt difficile à croire. Qu’est-ce que cette petite fille californienne a rêvé de devenir ? Savait-elle déjà qu’elle serait une écrivaine célèbre, un jour ? Et combien de ses rêves se sont réalisés ?

JL : Je pensais posséder plus de chevaux, ça, c’est sûr (me fait un clin d’œil). En vérité, j’ai toujours été une conteuse d’histoires. Selon ma grand-mère, bien avant que je n’aie l’âge de savoir lire, je prenais des livres et expliquais en langage de bébé l’histoire qu’ils racontaient. Et puis, une fois que j’avais évolué au stade de pouvoir colorier des livres, je passais toutes mes sessions de coloriage à raconter à mes sœurs et à mes amis l’histoire de tout ce que je coloriais. (En aparté). J’étais clairement en lice pour le Prix de la Gamine la plus agaçante de la planète.

PD : Eh bien, parlons un peu boutique, veux-tu ? Sur ce site, nous venons de discuter de ta série Adrien English, donc j’aimerais bien savoir : comment as-tu eu l’idée de créer les deux personnages principaux, l’adorable Adrien et Jake le torturé ? Et d’où t’es venue cette idée très efficace, tu sais, de les faire se rencontrer sans que l’on soit sûr, jusqu’au tout dernier paragraphe, qu’ils finissent réellement en couple ?

JL : Puis-je simplement dire tout d’abord combien je pense que c’est formidable que tu aies ce site ? Merveilleux ! Quand j’ai commencé à publier des polars et des romances gay, il n’y avait PAS de sites comme celui-ci. (Elle réfléchit, puis secoue la tête). Eh bien, pour être honnête, les blogs et l’Internet n’existaient pas lorsque j’ai été publiée pour la première fois. Mais c’est incroyable de voir comment le monde de la fiction LGBTQ a évolué en une vingtaine d’années.

Quoi qu’il en soit, repensant à Adrien et Jake… je vais te décevoir, mais je ne me souviens pas exactement de la façon dont j’ai créé ces deux personnages. Avant Adrien et Jake, j’ai commencé à écrire de nombreuses histoires avec des protagonistes masculins homosexuels. Certaines de ces histoires, je les ai ensuite terminées et publiées sous forme de polars gay —tu sais, I Spy Something Bloody, Cards on the Table, The Ghost Wore Yellow Socks [ce dernier a été publié en français en 2014 sous le titre Le fantôme aux chaussettes jaunes, note de PD]… Mais à l’époque, c’était simplement pour mon propre amusement. Je ne savais pas qu’il y avait un marché pour eux (en fait, il n’y en avait pas).

Je peux te dire que, lorsque je crée des personnages, j’ai tendance à les créer par paires. Je crois que je trouve instinctivement deux personnes qui sont compatibles et, en même temps, incompatibles d’une manière capitale. Cela crée un conflit naturel et organique – aucun obstacle insurmontable, mais des défis réalistes et légitimes qu’il faudrait surmonter. D’après mon expérience personnelle, la plupart des difficultés relationnelles – et j’inclus toutes les interactions humaines – découlent de l’incapacité ou du refus de communiquer.

(Elle rit). Maintenant, j’ai oublié la question !

PD (la relance) : Adrien, Jake, et leur histoire d’amour complexe…

JL : Ah oui, c’est ça. Adrien et Jake, ils tombent presque tout de suite amoureux – et malgré eux –, mais ils se heurtent à de véritables obstacles. Jake commence la série en ayant une personnalité très différente, avec des préjugés et des attitudes différents de la manière dont il termine la série. Et c’est sa relation – en fait, son amitié – avec Adrien qui rend ce changement de caractère possible.

Je pense que c’est comme ça que ça marche dans la vie réelle. En chemin, nous rencontrons des gens qui façonnent nos points de vue et modifient nos attitudes. Ou du moins, c’est comme ça que ça marche pour ceux d’entre nous qui ont la capacité de grandir et d’évoluer. (Elle me dédie un regard profond, à la fois enjoué et sérieux). Tout le monde n’a pas cette capacité.

En ce qui concerne l’impact émotionnel de l’histoire… Je pense qu’en écrivant à la première personne, j’ai été capable d’écrire avec plus d’immédiateté émotionnelle ? Plus d’intensité ?

PD : Oui, je comprends. (Mettant un doigt sur sa lèvre en réfléchissant). Ce que je trouve toujours étonnant, c’est que toi et de nombreuses autres écrivaines semblent savoir tellement de choses sur la psychologie des hommes gay… Est-ce qu’il s’agit simplement de suppositions étonnamment empathiques, ou as-tu un groupe d’amis gay auprès desquels tu peux te renseigner sur cet aspect ?

JL : J’ai toujours eu des relations étroites et positives avec les hommes de ma vie, ce qui aide, j’en suis sûre. Et j’ai travaillé dans des industries à prédominance masculine. La plupart de mes mentors étaient des hommes. Et une bonne écriture est un mélange d’expérience, d’éducation et d’empathie. On a besoin des trois pour raconter une histoire significative. En tout cas, c’est mon humble avis.

(Elle se penche en avant). Voici une chose très curieuse, et je ne sais pas comment l’expliquer ni pourquoi c’est vrai. Pour une raison quelconque, les livres que j’ai écrits sur des hommes gay étaient dix fois plus « réels » (elle dessine des guillemets dans l’air) en ce qui concerne les personnages et leurs relations, que les romans que j’ai écrits sur des protagonistes féminines. Peut-être que je ressens une pression pour créer un certain type de personnage féminin ? En considérant qu’écrire sur des hommes gay me permettait simplement d’observer et de relater – tu sais, relater comme dans « faire un reportage sur ce que j’ai vu dans le monde qui m’entoure », mais aussi comme dans… « se connecter, nouer une relation avec ses émotions » ?

PD : Je vois. Mais il y a aussi le côté physique, corporel… je veux dire… (clin d’œil)… la « mécanique » n’est pas si difficile à comprendre, je suppose, mais tout le reste ? Les sensations, les émotions, les pensées que l’on peut avoir pendant l’acte charnel ? Pour rien au monde ne pourrais-je imaginer ce qu’une femme ressent en faisant l’amour. Comment se fait-il que vous sembliez savoir si bien ce qui se passe en nous, les gars ? (Il se marre.) . Sommes-nous vraiment si faciles à lire ?

JL : Un certain type d’écrivain – et les hommes et les femmes en sont également coupables – se concentre sur les mécanismes du sexe, mais lorsque l’on a des relations sexuelles, on ne se concentre pas sur les aspects techniques. (En blaguant) . Je me corrige. Peut-être la toute première fois — EST-CE QUE JE FAIS ÇA COMME IL FAUT ? – mais après cela… non. (Elle redevient sérieuse.) Alors, quand on ne se soucie ainsi que de… la plomberie, on passe à côté de l’essentiel, de la puissance même de l’expérience sexuelle.

Le sexe est une chose très personnelle et intime. Mais certaines expériences humaines sont universelles. Notre besoin, en tant que nourrisson, de toucher et d’être touché, par exemple, et son incidence sur le développement émotionnel et psychologique si nous n’obtenons pas cela. J’essaie donc de toujours m’assurer que mes scènes sont a) fidèles aux personnages – et chaque personnage a une histoire unique et son propre profil psychologique –, et b) fidèles à une expérience humaine reconnaissable et avec laquelle l’on peut s’identifier.

(Elle rit et me fait un clin d’œil). Ok, et oui, bien sûr, je suis une femme adulte, sexuellement active, raisonnablement expérimentée et raisonnablement attentive !

***

Ceci est la première partie de mon entretien exclusif avec la célèbre écrivaine Josh Lanyon. En raison de sa longueur, cette interview est publiée en deux parties. La VO en anglais a été publié sur le site américain Gay Book Reviews (Update décembre 2020 : en raison de la fermeture définitive de Gay Book Reviews, j’ai re-publié l’entretien original en anglais sur le site dietermoitzi.com). Il était difficile de joindre Josh car elle est en train de peaufiner son prochain roman Mainly by Moonlight, qui sera disponible à partir du 1er août 2019 ; je lui suis d’autant plus reconnaissant d’avoir pris le temps de discuter avec moi. Plus d’informations sur son nouveau livre dans la deuxième partie de notre interview – que vous ne voudriez surtout pas manquer, je pense !

À propos de l’auteure

Voix distincte de la littérature gay, Josh Lanyon est une auteure américaine couronnée de nombreux prix. Depuis plus de dix ans, elle écrit des histoires de mystères et d’aventures à l’intrigue très présente, sur fond de romances gay. Auteure prolifique, elle a publié son premier roman, Fatal Shadows [le tome 1 de la série Adrien English, paru en français sous le titre Ombres Funestes en 2015, note de PD], en 2000 et a travaillé avec de nombreux éditeurs, mais aussi auteurs, tels que Laura Baumbach, Jordan Castillo Price et Sarah Black. En plus de ces nombreux romans, courts-romans et nouvelles, Josh est l’auteure de la célèbre série Adrien English, qui inclut le titre The Hell You Say [nous avons présenté les 5 livres de cette série sur ce site, dont aussi celui-ci, qui s’apelle Le Diable au corps en français], qui a remporté le prix USABookNews en 2006 dans la catégorie Fiction LGBT. Josh a également remporté le Prix Eppie et a trois fois été finaliste du prix Lambda Literary. Josh est mariée et vit en Californie du Sud.

Trouvez d’autres titres de Josh Lanyon sur www.joshlanyon.com .

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Pour des extras et des exclusivités, rejoignez Josh sur Patreon.

Toute la série Adrien English

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