Synopsis
En 1994, alors que l’épidémie de sida fait rage et qu’il est encore un jeune adolescent, Mathias tombe sur un documentaire télévisé consacré aux « patchworks des noms » : des rectangles faits de chutes de tissus que les proches des victimes cousent pour illustrer et honorer la mémoire de leurs morts. Pour le jeune homme, c’est un choc : la beauté de ce rituel, sa valeur symbolique et politique le marquent à jamais.
Des années plus tard, il a envie de raconter cette histoire : la sienne, mais aussi celle des activistes qui ont lutté pour que le silence ne recouvre pas les existences fauchées par la maladie. Cousu pour toi est un texte-patchwork qui mêle récit, autofiction et journal de bord. L’auteur s’interroge : Comment naît-on à son désir quand autour de soi l’amour semble indissociable de la mort ? Comment la mémoire des tragédies se transmet-elle ? Comment en hérite-t-on ?
Notre avis
Cet ouvrage très singulier a touché les jurés du dernier Prix du Roman gay qui lui ont attribué leur « Coup de coeur ». Il comporte deux parties bien distinctes, régies par la chronologie de la vie du narrateur, Mathias. La première partie se déroule dans les années 1990 (le narrateur est alors adolescent) et la seconde vingt ans plus tard.
Le cadre géographique est celui de la Suisse, aussi bien francophone qu’alémanique, pays natal du narrateur.
Dans la première partie donc, Mathias, âgé de 15-16 ans, découvre le monde culturel de l’homosexualité de son temps et sa propre attirance pour les garçons. Le récit est nourri de multiples références aux actualités et à la musique de cette période, toujours marquée par le sida qui tue et brise tant de jeunes vies. Cette évocation est menée par l’auteur de façon émouvante, pudique et maîtrisée, avec un gros plan sur le personnage d’Alexander, touché par le virus et qui a perdu son compagnon Thomas. Mais l’essentiel du livre, et qui justifie le titre Cousu pour toi, est la découverte, par le jeune narrateur Mathias, des « patchworks du sida », morceaux de tissu dont le sens est donné en page 31 :
« Le patchwork des noms, ce sont des rectangles de 90 centimètres sur 180 centimètres […] qui sont brodés, décorés, peints par les proches d’un disparu du sida. C’est donc toute la mémoire de quelqu’un qui est symbolisée dans cette espèce de tableau très chargé de l’affectivité des gens qui l’ont confectionné. Ces panneaux sont assemblés par huit et déployés solennellement en public dans un grand quilt. Ils voyagent, sont porteurs de la douleur, ils rappellent aussi, à ceux qui voudraient les oublier, ces morts dont beaucoup ont été prématurées, puisque les enfants sont souvent enterrés, hélas, avant leurs parents. »
Parallèlement à la confection de ces patchworks est présenté le NAMES Project, réunion arc-en-ciel des patchworks du groupe.
Ce sujet chargé d’émotion ne doit pas dissuader les lectrices et lecteurs de notre temps de découvrir ce récit. Il serait dommage de considérer qu’il ne s’agit que d’un énième livre sur le sida. Jamais Mathias Howald ne sombre dans un registre larmoyant, il est toujours respectueux de l’itinéraire et du chagrin de toutes les personnes qu’il rencontre. Et malgré ce contexte très difficile, le plaisir n’est pas absent (cf. page 58, à propos de deux hommes qui font l’amour, le narrateur écrit : « […] Leurs cris montent et à travers la fenêtre de la mansarde ouverte sur la nuit froide, ils font jouir la ville. »).
Le patchwork des noms n’est pas le seul sujet évoqué dans cette première partie du livre : sur un sujet rebattu (un adolescent qui se découvre gay), Mathias Howald excelle à dépeindre, avec une vraie fraîcheur, la naïveté, les rêves, les fantasmes, les errements et hésitations de son jeune personnage, ce qui apporte un peu de légèreté dans un contexte très sombre. Un peu de légèreté et d’humour, par exemple, lorsque Mathias accomplit, pour la première fois, le geste transgressif suivant (p. 71) : « Vite. Je pianote le code, la spirale libère le produit qui tombe mollement au fond du réceptacle, je plonge ma main derrière le clapet et moi qui n’ai jamais embrassé personne, je m’empare de ma première boîte de préservatifs. » Un jeune personnage qui restera très sage, même à vingt ans.
La seconde partie du livre nous transporte vingt ans après. En 2019, le narrateur a donc quarante ans. Le sida a bien entendu changé de statut, ce n’est plus l’effrayante épidémie qualifiée dans les années 80 et 90 de « cancer gay ». Les patchworks prennent dès lors une dimension mémorielle et patrimoniale, et ils sont toujours présents à l’esprit de Mathias qui enquête à leur sujet, avec l’intention d’écrire un livre. Le lecteur suit donc Mathias dans cette enquête, je dirais plutôt ses déambulations, de Paris à Zurich, de Zurich à Rome… Et malheureusement, le rythme, la vie de la première partie ont disparu. Certes, Mathias rencontre des témoins de l’époque précédente, mais il ne se passe à peu près rien dans un récit qui ne semble désormais suivre, sans autre perspective, que les déplacements du personnage. Le texte retrace les événements plus proches de nous, notamment le Covid. Cela n’a pas suffi, je le regrette, à soutenir durablement mon intérêt, d’autant que cette seconde partie comporte environ cent pages, un peu longuettes…
Malgré ces réserves, un livre qu’il faut découvrir, et qui rappelle utilement la détresse profonde de tous ces malades dont certains ont été abandonnés, reniés par leurs propres parents, qui avaient honte, tellement honte…
Infos
Auteur : Mathias Howald
Titre : Cousu pour toi
Publié par : Éditions Gallimard, Collection Scribes
Publié le : 18 mai 2023
Genre(s) : Texte-patchwork
Pages : 210
Disponible en : Broché
Lu par : Christophe
Sensualité : —
Note
4 étoiles sur 5
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