Synopsis
« J’ai rêvé que mon fils, car c’est un garçon que je porte, me reprochait ses origines […]. Puis il s’enveloppait dans un grand drap de lin blanc avant de s’allonger sur un gigantesque lit, le visage enfoui dans l’oreiller. Curieusement, la toile restait immaculée malgré la grande quantité de sang ; sa peau semblait avoir joué le rôle d’un puissant buvard périodique. Affolée, je me précipitais sur lui et le retournais sur le dos pour qu’il puisse respirer normalement, et découvrais, stupéfaite, que son visage était celui de… Tristan ! Il me regardait avec une infinie tristesse, et bien que ses lèvres restent closes, je l’entendais me supplier “Je t’en prie, petite Mère, ne m’impose pas ce retour car je ne supporterai pas une nouvelle épreuve. Je ne suis pas fait pour ce monde et m’y propulser relève de la plus haute cruauté, voire d’une impardonnable trahison. Ce qui m’attend, tu ne le souhaiterais pas à ton pire ennemi. Tu dois mettre un terme à ces infernales renaissances !” »
Des parents aux enfants se transmettent plus que des gènes… D’une génération à l’autre se propagent aussi comme des malédictions, des secrets inavoués, des blessures impossibles à suturer…
De Marion à Alexandre, et d’Alexandre à Marion, personnages maillés par les liens familiaux, c’est à une généalogie de la haine et de l’amour, du racisme et du rejet, de la faute et du rachat, que se prête le roman composé par J.-P. Fresnoy, qui signe ici une fresque puissante, traversée et maintenue par un discret souffle fantastique qui lui donne toute son identité.
Notre avis
Ah, quel livre riche et dense ! Et mon Dieu qu’il est lourd ! Je ne parle en aucun cas du contenu, mais du poids du roman broché, que l’auteur a eu la gentillesse de me faire parvenir ; de taille plus grande que la moyenne et avec ses 400 pages, ce livre m’a fait gagner plusieurs centimètres de tour de biceps, à n’en pas douter. Mais le jeu en valait la chandelle, et il va être difficile de réellement rendre justice, par ma fiche de lecture, à ce bijou.
Sangs-Mêlés, roman découpé en trois parties, retrace l’histoire d’une famille sur plusieurs générations, commençant juste après la Grande Guerre et se terminant de nos jours, peu ou prou. De manière astucieuse, cette histoire familiale ne se déroule toutefois pas de façon classique et linéaire, des aïeux jusqu’aux derniers-nés, mais plutôt en « méandres », j’ai envie de dire. D’abord, l’auteur s’intéresse à la vie du fils, Alexandre Roehrig, jeune homme mal dans sa peau et mal dans sa vie, à l’homosexualité tourmentée et la vie sentimentale torturée. À travers lui, le lecteur rencontre divers protagonistes de cette famille tout ce qu’il y a de plus banale, à première vue : la mère Marion, le père Claude, le frère et la sœur ainsi que bon nombre d’amis qui gravitent autour de ce noyau central (et qui ont tous leur importance pour la suite des intrigues). Ensuite, dans la deuxième partie, l’arc narratif retourne en arrière vers les racines familiales de Marion elle-même et, dans une moindre mesure, vers celles de Claude. Finalement, ce même arc est clos par la petite-fille de Marion, élevant ainsi cette Marion en pivot et de l’ouvrage et de l’histoire (des histoires, il faudrait dire).
Il m’est impossible de raconter tous les tenants et aboutissants, tous les fils, toutes les intrigues et sous-intrigues qui naissent, se mêlent et s’entremêlent, achoppent les un(e)s contre les autres, se font obstacle ou se résolvent mutuellement, dans ce roman, à moins de vouloir écrire un roman moi-même. Mais je peux vous donner quelques thèmes, certains fils rouges qui traversent et le livre et les vies qui y sont exposées de façon magistrale : tout d’abord, le destin de tout un chacun est imprévisible (même si certains membres de cette « famille » dans le sens le plus large ont un don de clairvoyance prononcé et assumé). Ensuite est abordé le danger des secrets de famille, qui, quand ils finissent par éclater au grand jour, s’avèrent souvent moins sournois, moins pernicieux que quand ils sont tus. Puis, le livre s’interroge (et, ce faisant, interroge aussi les lectrices et lecteurs) sur le poids des liens familiaux, qu’ils soient heureux ou contrariés. Finalement, je retire de cet ouvrage la force de l’amour, qui, d’un côté, peut soigner et aider comme il peut, de l’autre, entraîner les souffrances les plus atroces et les conséquences les plus inattendues.
Les sagas familiales, j’en conviens, n’ont pas toujours bonne presse tellement elles ont été galvaudées par des livres à la sentimentalité dégoulinante et cheap. Mais j’ai déjà lu des sagas dont la valeur littéraire allait de pair avec une grande richesse, avec une belle profondeur du propos et des destins ainsi qu’avec un ancrage dans les réalités d’une époque donnée qui en faisait presque un témoignage historique. Parmi ceux que j’ai adorés, je citerais Guerre et Paix de Léon Tolstoï, Les Buddenbrook de Thomas Mann ou Un garçon convenable de Vikram Seth. Deux de mes romans préférés de tous les temps figurent également sur cette liste : Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez et La maison des esprits d’Isabelle Allende – deux livres que j’ai dû lire une dizaine de fois.
Pour vous donner une première indication de mon ressenti quant à Sangs-Mêlés, sachez que ce roman… a rejoint cette liste de sagas non seulement incontournables mais surtout si prenantes que l’on se surprend à y penser longtemps après les avoir refermés. Jean-Philippe Fresnoy m’a happé dès les premiers paragraphes et ne m’a pas lâché jusqu’au bout. Comme je l’ai dit au début, ce roman est vraiment riche et dense, mais rythmé à la perfection. Hormis la foultitude d’histoires entrelacées, je dois absolument souligner la beauté de l’écriture – un français lui aussi riche et voluptueux, toujours très approprié sans jamais donner dans la facilité des fioritures baroques. Même les imparfaits du subjonctif, fort nombreux, ne font pas maniérés, et si les dialogues n’ont rien de vraisemblable (personne ne s’exprime en passé simple en se racontant à autrui), ils ajoutent comme un côté féerique à ce livre. Si je devais formuler un petit bémol, je dirais qu’il faudrait ôter la touche du point d’exclamation du clavier de l’auteur si tant est qu’il écrive sur ordinateur.
Sangs-Mêlés a gagné le Prix du roman gay 2019 dans la catégorie saga gay, et je trouve que l’attribution de ce prix est amplement justifiée. Je me suis régalé et de la plume et de l’inventivité de l’auteur, de sa maîtrise de la langue écrite et de son sens psychologique. C’est un livre qu’ultérieurement, je vais sûrement rouvrir pour m’y plonger à nouveau.
Infos
Auteur : Jean-Philippe Fresnoy
Titre : Sangs-Mêlés
Publié par : Publibook éditions
Publié le : 16 octobre 2018
Genre(s) : Saga familiale
Pages : 400
Disponible en : Ebook & broché
Lu par : ParisDude
Sensualité : 1 flammes sur 5
Note
5 étoiles sur 5
Où acheter
L’auteur nous a fourni un exemplaire gratuit de Sangs-Mêlés pour que nous puissions vous en livrer une critique honnête et sincère.
Ce compte rendu a déjà été publié dans le N°3 de L’Autre Rive. Revue du Club Littéraire du Marais.
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Grâce à toi, cher Dieter, je vais sans doute remettre le pied à l’étrier et écrire la troisième et dernière partie de « Sangs-Mêlés », « Adam »…
Cher Jean-Philippe, très heureux de l’apprendre, et je me ferai une joie de lire cette troisième partie, bien sûr! 🙂