Synopsis
« Je ne suis pas un pervers, je ne suis pas un pervers, je ne suis pas un pervers… si je le répète assez, ça finira par être vrai, n’est-ce pas ? » À trente ans, quand il constate qu’il a passé sa vie d’adulte à tenter de devenir quelqu’un qu’il ne sera jamais, c’est la crise. Il juge pathétique de croire qu’il deviendra auteur de best-sellers, quand il n’a jamais terminé un seul roman. Il doute du romantisme d’avoir épousé le premier garçon à lui avoir dit je t’aime. Il se demande ce qu’il fout quand il couche avec des inconnus dans le jardin du Louvre… Coincé entre ce qu’il refuse d’être et ce qu’il ne deviendra jamais, une seule solution s’impose à lui : partir à la recherche de qui il est. Seul sur les routes de France, il devra affronter ses désirs, ses exigences et ses déceptions. Et peut-être alors, deviendra-t-il adulte.
Mon avis
Après Les Sagoens, dont j’ai parlé récemment sur ce site, voici un autre roman qui raconte les difficultés, les tâtonnements, les questionnements d’un écrivain en herbe. Mais pas que.
Le narrateur qui relate ici ses déboires à la première personne est trentenaire et confortablement installé dans sa vie depuis des lustres ; du moins, c’est l’impression qu’il a. Son mari Arthur et lui se sont connus pendant leurs études, à l’âge de dix-sept ans — c’était d’ailleurs le premier homme à lui dire « Je t’aime. » Tous les deux originaires de Salon-de-Provence, ils sont montés sur Paris trouver fortune et bonheur. Le narrateur travaille dans une boîte de marketing/publicité : un boulot qui nourrit, mais qui ne comble pas. Depuis toujours, il écrit, rêvant de devenir un écrivain reconnu et adulé, un auteur qui enchaîne les bestsellers. Or, s’il persiste bel et bien dans ce projet, il n’a jamais réussi à terminer un seul ouvrage. Pourtant, il se donne du mal, il s’essaie à plusieurs genres, il prépare, il se documente pour apporter de la véracité à ses écrits. Il a voulu être un écrivain publié avant ses trente ans ? Eh bien, c’est raté, la date est passée, ses amis lui suggèrent de grandir et de passer à autre chose, et il commence à déchanter.
À côté de cette vie bien rangée et sage, il dévoile une autre facette, elle aussi problématique. Non seulement aime-t-il s’exposer sur Tumblr dans diverses poses et positions, postant régulièrement des vidéos explicites, mais souvent, avec son mari, il cherche nuitamment le frisson d’une rencontre sexuelle anonyme dans les buissons près du carrousel du Louvre ou dans les saunas et backrooms. Il a beau aimer ça, il ressent toujours comme un petit pincement, un regret, une honte enfouie, comme si sa conscience voulait le rappeler à l’ordre, lui indiquant que ce qu’il fait est mauvais et sale.
Le roman commence par une grave crise d’angoisse du narrateur. Soudain, il met toute sa vie en question. Sur un coup de tête, il loue une voiture et s’enfuit, laissant un message succinct à son mari. La première étape l’amène à Fontainebleau, où habite l’un de ses plus fervents supporteurs sur Tumblr, un jeune homme au pseudonyme imagé : Kum Kardashian. Depuis longtemps, cet homme lui demande de venir chez lui. Bien sûr, entre fantasme et réalité, il y a souvent un fossé, et le narrateur découvre que Kum Kardashian, loin d’être cet amant passionné qu’il imaginait, se révèle préférer le sexe par écran interposé à l’étreinte torride réelle. Il passe une semaine chez Kum, les deux souvent imbibés à la vodka et au cannabis, sans que les deux n’aient un seul rapport sexuel. Insatisfait, toujours en quête de réponses (voire en quête de questions), le narrateur repart donc…
Ce livre se lit très facilement (je l’ai fini pratiquement d’une traite) et emmène lectrice et lecteur d’abord en Auvergne, chez les parents du narrateur, chez une vieille amie aux portes de la Camargue ensuite, et finalement « aux sources », si j’ose dire — chez le premier homme dont le narrateur avait été amoureux pendant son adolescence, près de Salon-de-Provence. C’est un véritable roadtrip littéraire où je n’ai pas avalé tellement de road, mais évolué d’étape en étape, de rencontre fortuite en rencontre recherchée, certaines loufoques, certaines presque tristes. Le style d’écriture est entraînant, clair et direct, les dialogues sont ciselés, mais flairent bon la vraie vie, le tout saupoudré d’une saine dose d’humour et d’autodérision de la part du narrateur. Je ne me suis pas ennuyé une seule seconde, et je n’ai pas réussi à deviner, d’une page à l’autre, ce qui m’y attendrait.
Puis, ce narrateur… comme toujours lorsqu’un récit est proposé à la première personne, on cherche à savoir s’il s’agit de l’alter ego de l’auteur, sachant fort bien que ça n’a, en soi, aucune importance. Il est attachant, c’est sûr. Très jeune, c’est sûr aussi, avec l’égocentrisme, la candeur, la sincérité presque blessante et cruelle des jeunes (ainsi, un mec de quarante ans est déjà un vieux, donc quasiment exclu comme partenaire sexuel). Bien que conscient qu’il y avait d’énormes différences entre moi et ce narrateur — différences de caractère, de vision, d’attentes, de désirs même —, je me suis senti très proche de lui. Peut-être que c’était de lointains souvenirs de mon propre curriculum qui me rapprochaient de lui. Il est complexé par son double-menton, ses petits bourrelets, ses cheveux toujours en bataille, là où pour moi, c’était ma maigreur, le manque de muscles saillants et de larges épaules ainsi que le crâne qui se dégarnissait à certains endroits dès avant la trentaine qui posaient problème à cet âge-là.
Puis, honte et auto-culpabilisation jouent un rôle important dans cette histoire de découverte de soi, ce récit initiatique. Comment se trouver soi-même si l’on trimballe ces deux sentiments nocifs ? Et quid des rêves de jeunesse que — l’on s’en rend souvent compte à un moment donné — l’on est encore loin d’avoir réalisés ? Comment faire si l’on s’est acharné pendant des années à s’en approcher avec une telle obsession que ce qui devait être pur plaisir — l’écriture — s’est transformé en devoir presque aussi étouffant que le métro, boulot, dodo du Parisien ?
Je me suis perdu allègrement dans cette histoire d’un jeune homme qui se cherche, qui tente de s’arracher à ses routines, à son train-train, qui essaie de surmonter ses propres angoisses et culpabilités. Il y aurait encore tant de détails à souligner — les scènes avec les parents, tous les deux perdus eux-mêmes dans une vie qui les dépasse ; la présence intermittente du spectre d’Arthur, que le narrateur emporte avec lui tel un Jiminy Cricket des temps modernes… Bien entendu, la fin était à l’avenant. Sans révéler comment l’histoire se termine, je tiens à dire que je l’aurais vraiment mal pris si cette folle échappée à travers la France s’était terminée par un tour de magie littéraire trop simple. Ou trop noir. En tout état de cause, un livre à lire absolument – très frais, très divertissant et facile d’accès à première vue, mais d’une belle profondeur.
Infos
Auteur : Étienne Bompais-Pham
Titre : Tuer le bon gay
Publié par : Éditions Maïa
Publié le : 18 janvier 2021
Genre(s) : Littérature, Roadtrip
Pages : 168
Lu par : ParisDude
Sensualité : 2 flammes sur 5
Note
5 étoiles sur 5
Où acheter
L’auteur
Étienne Bompais-Pham est auteur, blogueur et critique de romans gay. Avec ce roadtrip initiatique, il signe un premier roman résolument queer.
Pour en savoir plus sur lui, visitez son blog, notamment la page Moi, ma vie…
Ce livre nous a été envoyé par l’éditeur pour que nous puissions vous livrer notre avis honnête et sincère.
Par ailleurs, cet article a déjà été publié dans L’Autre Rive. Revue du Club Littéraire du Marais, numéro 1 | Mars 2021.
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Merci beaucoup pour cette magnifique critique ! 🙏🏼