Un Adolescent amoureux (par Christophe)

Un Adolescent amoureux est un court roman, le deuxième de Robin Josserand qui avait été remarqué, à juste titre, pour son premier opus intitulé Prélude à son absence, Prix du Roman gay en 2023. Ce premier roman narrait, sur un ton très personnel, la fixation amoureuse d’un personnage solitaire pour un homme à la dérive. L’histoire était sombre, l’approche – à la fois narrative et stylistique – très aboutie et convaincante.

J’ai donc ouvert Un Adolescent amoureux avec un a priori favorable et j’en ai terminé la lecture avec un double sentiment de déception et de malaise. Ce n’est bien sûr qu’un ressenti personnel, absolument pas une vérité gravée dans le marbre, et si vous avez  apprécié le premier roman de cet auteur, vous souhaiterez certainement découvrir le deuxième.

Dès le début, le ton est donné : pas de préambule, pas de fioritures, peu de descriptions. Le narrateur est un lycéen de Terminale, et l’éclairage sur son existence, ses désirs et ses fantasmes est brut, direct. L’adolescent (par certaines de ses réactions, le personnage paraît souvent plus jeune qu’un pré-bachelier) est montré esclave de sa naïveté et de ses pulsions. Sans nuances, l’auteur oppose ce garçon « bien éduqué », docile et respectueux des professeurs et des règles, à celui qui va le fasciner, un nouvel élève plus âgé qui n’a que faire de ces principes.  Dans un style très sec, quasi neutre, Robin Josserand décrit l’histoire d’un désir de fusion : le narrateur veut ressembler à tout prix à son idole, il veut devenir l’autre, dans tous les détails. Et cet autre est montré comme n’ayant rien de franchement captivant, tant il est content de lui, inculte, fier de ne jamais lire, et homophobe pour compléter le tableau. Mais la passion du narrateur pour ce petit dealer (pourtant saxophoniste à ses heures) ne s’explique pas : lui-même la subit et en souffre beaucoup. Là est le thème commun avec le premier livre de Robin Josserand : la fixation désespérée d’un personnage sur un autre dont il n’a rien à attendre.

Le problème avec Un Adolescent amoureux, c’est que le portrait du gentil garçon séduit par un bad boy a un air de déjà lu. L’auteur oppose très basiquement deux déterminismes symbolisés par l’usage du tabac : les parents du narrateur l’interdisent à leur garçon docile (qui fumera donc en cachette), tandis que la mère du bad boy allume elle-même la cigarette de son fils… On pouvait attendre moins de conformisme dans cette approche sociologique.

En préambule à ce retour de lecture, je parlais de malaise et je voudrais m’en expliquer. On avait déjà remarqué, dans Prélude à son absence, la capacité de Robin Josserand à décrire un univers sombre, profondément triste. Mais le personnage du premier livre avait une vie intérieure très riche, qui donnait beaucoup de poids au récit.

Dans ce deuxième roman, on retrouve, amplifié, ce « goût » de l’auteur pour dépeindre un contexte particulièrement lugubre. La peinture de la vie au lycée est profondément déprimante, du fait de l’ennui des élèves, de leur rejet des apprentissages, des difficultés rencontrées par les enseignants, et surtout de la présence constante de divers produits stupéfiants. Le point culminant de ce sinistre univers est une agression physique portée sur un élève par un inconnu, dans l’enceinte même du lycée. Violence physique mais aussi psychologique : page 60, on peut lire une peinture glaçante de la cruauté du groupe d’élèves, du harcèlement scolaire, de l’immense solitude de celle ou de celui qui n’est pas dans la norme. Mais la vie au lycée n’est pas la seule à être sinistre : c’est tout l’univers de ce roman qui est plombé par la noirceur de la vision de l’auteur, qu’il s’agisse de la ville où vivent les personnages (Le Creusot et ses usines grises, qui en ont pourtant vu d’autres en termes de dénigrement, malgré Christian Bobin) ; de la vie du narrateur, incapable de communiquer avec ses parents surprotecteurs, incapable et pour cause de devenir celui qui le fascine tellement, en détresse totale devant la force de son désir sexuel pour les garçons qui le hante et le torture ; qu’il s’agisse enfin du sexe, ici présenté comme sale, sordide dans les rapports entre hommes, et d’une brutalité et d’une inhumanité sans nom dans les rapports hétérosexuels.

Alors certes, après la lecture de Prélude à son absence, on pouvait imaginer qu’avec ce deuxième livre, Robin Josserand n’allait pas donner dans un registre léger et primesautier. Si vous aimez un brin de détente, de divertissement, ce récit vous fera fuir. Il s’adresse en priorité aux lecteurs intéressés par une approche de la psychologie de l’adolescence (je ne suis pas sûr cependant qu’ils aient des révélations dans ce domaine à la lecture de ce roman). Pour ma part, je regrette de ne pas être sensible à cette approche morose et univoque du sujet, je regrette aussi quelques défauts dans la construction de phrases, ainsi qu’une fin déconcertante. Dommage.